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Dictionnaire Poétique

 

ABSENCE

Le réveil sonne. De ma main droite, je l'éteins. Je me lève. Apres avoir enfilé quelques vêtements, je vais à la cuisine pour préparer le petit déjeuner. Je fais chauffer le café. Le pain grille doucement. Je saisis les tartines et le beurre se répand, huileux, optant pour une couleur ocre. Enfin prêt, j'emmène café, tartines, lait et autres mets sur la table. Je prépare mon café au lait, je m'assois à ma place habituelle. Et là, je pose mon regard embué sur ce deuxième bol qui ne connaîtra pas, aujourd'hui encore, tes lèvres.

ANGE

- Eh, salut frère! Tu veux signer ma pétition?
- Une pétition! Quelle pétition?
- Ben, celle là!
- Pour quoi faire?
- Ben, tu voies. C'est pour nous sortir d'la condition d'opprimés où on se trouve.
- Opprimés?
- Eh! Faudrait ouvrir les yeux! Les sermons, les prêcheries, les amens, tout ça, c'est du bla-bla! C'est l'opium du peuple!
- Et que demandes tu?
- Déjà qu'on ne travaille plus l'dimanche!
- Pourquoi pas?
- Ensuite la suppression des couches sociales: plus d'auréoles ni d'ailes attribuées par piston!
- Si on veut, oui?
- Euh, la liberté d'expression aussi! J'vois pas pourquoi y'aurait qu'le patron qui aurait droit à la parole!
- Et bien quelle pagaille tu nous proposes!
- Et c'est pas tout, tiens! Le droit de fumer un joint de temps en temps!
- C'est ça, pour foutre le feu partout! Fais gaffe, Lucifer! Ou tu pourrais être descendu en flamme!
- Oh là là! Encore un bourge!

A.N.P.E.

Lundi matin, convoqués et passants se pressent au guichet. Chacun y va de son étude du marché de l'emploi.
Certains sont conjoncturistes:
- c'est la faute à la balance commerciale;
- c'est la faute à l'économie mondiale;
- c'est la faute à la morosité boursière;
- c'est la faute à l'inflation.

Certains sont corporatistes:
- c'est la faute aux patrons;
- c'est la faute aux étrangers;
- c'est la faute à l'état;
- c'est la faute aux Lobbies.

Certains sont individualistes:
- c'est la faute à mon père;
- c'est la faute au Président;
- c'est Ma Faute.

Enfin, d'autres sont moralistes. C'est la faute à pas de chance. Mais dans tous les cas, c'est la même fonctionnaire au même guichet qui vous répond la même chose en regardant l'horloge: c'est partout pareil. Sauf pour elle! Y'a pas d'boulot!

BRUIT

D'abord un bruissement, en froufrou, tel un froissement d'étoffe dans l'air; puis lentement, une rumeur, guère plus qu'un potin qui enfle en cliquetis, en une clameur, un grondement; à peine un brouhaha, quelque hourvari ou sabbat au sein d'une tumulte, d'un tapage s'exhortant en charivari; enfin, tintamarre ou boucan, mais véritable chambard, ce bacchanal explose en éclat et fracas; là, vacarme et tollé gonflent en tonnerre. Et soudain, le silence...

CHARME

Il est seul ce soir. Il arpente les rues à la recherche d'une animation quelconque: un bar, un film, un spectacle. Rien! Il avance de trottoirs en trottoirs, en quête de quelque distraction. Un bar, plus sympa peut-être, lui ouvre ses portes. Un ivrogne en sort éméché d'une journée bien remplie à vider ses verres.

Il entre et s'accoude au comptoir. Un instant, il regarde autour de lui, puis commande une pinte de bière. A quelques mètres de lui, une longue chevelure brune le scrute du regard. Un tantinet troublé, il n'ose pas soutenir son regard. Son verre de Porto s'approche de la pinte, doucement, sans à-coup. Les mains, côte à côte, n'osent pas se frôler, l'une serrant sa bière, l'autre serrée dans son gant de cuir. Une tension nerveuse gronde. Il commence tout juste à regarder en face cette personne. Ses jambes sont longues et fines sous leur bas respectif. Sa hanche tout aussi fine, son buste, bien que couvert, est prometteur. Ses cheveux luisent d'un éclat étrange. Son visage est noyé sous les mèches brunes et parfumées.

Le temps passe, les verres aussi, il n'hésite plus et l'emmène en dehors du bar, vers quelque coin sombre où ils seront en paix. Il pose sa main sur sa hanche, puis l'autre dans sa toison bouclée.

Les cheveux noirs luis restent dans sa main, découvrant un crâne luisant d'une patine nacrée. Dans un sourire macabre, la main gantée défait ses vêtements, découvrant un corps squelettique sous la pâleur de la Lune...  

COMEDIEN

Tantôt burlesque, tantôt pathétique, parfois chevaleresque, d'autres fois vil voleur, monstre de barbarie, poète ou chanteur, homme d'épée ou de lettre, banquier ou valet de pied, romain, New Yorkais, premier rôle ou figurant, le comédien, même si celui-ci compte quelques troubles de la personnalité, retrouve le même masque immuable de sa vie quand il quitte la scène, masque partagé de tous, jouant notre rôle plus ou moins avec brio. Mais de cet acte là, personne n'en reçoit les bravos...

CONCEPT

Méditatifs, nous n'avions pas examiné les tableaux de bords. Il était manifeste que notre rêverie n'avait pas permis à nos sens, absorbés par notre imaginaire, de remarquer cet écho sur l'écran. Ce furent les instruments qui perçurent cette présence et nous sortirent de notre recueillement. Notre observation première fut brève et claire. Quelque chose d'étrange, de non visible, se trouvait là, devant nos yeux, impénétrable et néanmoins accessible. Préoccupés, nous commencions à réfléchir, à ruminer cette abstraction, à la considérer raisonnablement, afin que notre esprit, fort d'une pensée explicite, saisisse ce phénomène. Il était évident que nous nous trouvions face à une intelligence capable de compréhension. Il fallait donc que nous cogitions afin de combiner un moyen simple et efficace pour nous entendre. Nous entendre? Soudain, nous conçumes que cette entité puisse connaître quelques notions du langage primitif que compose la parole. Songeurs à la justesse de cette idée, nous la mirent en pratique.

<<Bonjour! Qui êtes vous? Que voulez vous? Où allez vous? >>

La réponse surgit, aussi promptement que l'éclair. Apres avoir mesurer ses paroles, notre jugement fut décevant:
"Il s'agit là d'un concept enfant! "

Nous répartimes alors dans les profondeurs de notre intellect commun à tout l'équipage. Ses paroles avaient été:
<<Arreuh... Maman... Reuhh... Papa... >>

DELATION

L'assemblée se tenait aujourd'hui encore au milieu d'un tumulte assourdissant. Les uns criaient, les autres gueulaient. Mais tous haussaient le ton, cherchant à convaincre l'autre non pas avec ses arguments mais bien par sa capacité thoracique. Finalement, le maître de séance n'y tenant plus après un bon quart d'heure de ce vacarme, pris la décision de faire cesser tout cela. Encore fallait-il pour cela forcer tout le monde au silence! Un coup de feu en l'air y parvint aisément. Une fois le calme admis, il commença ainsi:

-Je ne vais pas attendre votre bon vouloir pour me donner le nom du coupable. J'aimerais une réponse et pas dans dix ans. Maintenant!
Un silence gêné se maintenait.
-Qui? Qui a ose faire cela? Allons, qu'il se dénonce!
Je crois que c'est alors que l'on entendit clairement, et pour la première fois depuis le début des débats, le vent qui sifflait doucement dehors, dans la plaine désertée.
-Alors? Un peu de courage, quoi! Qui a fait cela? Qui?
La réponse semblant gêner l'auditeur concerne, comme s'il avait peur de se servir de cet organe ô combien précis et combien puissant, quand on le veut bien, la parole, ce même souffle dans la plaine désertique emplit l'amphithéâtre.
-Bon, on va pas y passer des jours? Est ce que quelqu'un a une idée?
Aussitôt 200 voix s'élevaient comme une tornade dévastatrice. A nouveau, un coup de feu mis fin à cette bourrasque.
-Je n'ai rien dit! Allons! On ne va pas s'entre-tuer sous prétexte de délation les uns par les autres alors que nous sommes déjà si peu nombreux!
Et ce vent, encore ce vent dans cette plaine dévastée et désertée.
-Allons! Qu'on en finisse! Que celui qui a eu l'imbécillité, qualité reconnue par tout le Monde ici présent, je dis donc, que cet homme là se dénonce! Que celui qui a appuyé sur le Bouton Rouge se fasse connaître!
Alors une voix timide, comme celle d'un enfant demandant à l'instituteur s'il peut aller aux toilettes, une voix timorée répond au milieu de la foule: "C'est moi... "

DESESPOIR

Brume noire sur la morne plaine, je déambule en évitant soigneusement les recoins perdus de ma conscience idéalisée. Sans savoir qui est en face de moi, je lui souris, ne cherchant pas à établir un véritable contact. Je suis la Mort, évitez moi, ne me regardez pas, ne répondez pas à mon sourire. Vous en perdriez toutes vos belles dents. Je mords plus fort que vous. Et ma morsure est de loin beaucoup plus dangereuse que toutes vos belles paroles venimeuses. Vous, les Saints, vous, les Sages, vous, les Personnalités, vous, les Vedettes de ce show mortuaire, ne confondez pas génie, brio et narcissisme. Je saurais vous montrer les vrais feux de la rampe. Et croyez moi, ceux-ci sont véritablement brûlant. Vous n'en reviendrez pas, du moins ici bas. Car vous irez encore bien plus bas, au delà de toutes les profondeurs explorées par l'homme. Vous irez là d'où vous ne pourrez plus sortir. Vous irez en Enfer. Vous irez dans mon âme et mon cerveau éparpillé par les soins précis des Docteurs Larve et Pourriture. Vous irez là où la souffrance est le moindre des malheurs qui puisse vous arriver. Vous irez là où je suis, perdu avec moi dans les limbes sans fond du désespoir.

DETRESSE

L'apocalypse n'est pas pour demain. Elle naît pour deux mains non entrelacées, désabusées par les remords pestiférés. C'est un déluge dilué, vient! Je le sais pour l'avoir vu. Si les plaines assombries par un Soleil absent prolifèrent, c'est la faute aux rats de l'espoir qui se multiplient tel un carnage élégiaque, soupir d'une autre génération perdue. Si les oiseaux volent moins haut, c'est qu'on leur a coupé les ailes du bonheur pour leur donner des branchies afin de côtoyer les abysses de la mort. Les plages fines voient ainsi s'échouer des pélicans, des albatros goudronnes, des dauphins déchus. La glace les entoure et s'empare d'eux quelques soient leurs remparts face à la désolante solitude inévitable des profondeurs ignorées de l'astre éteint.

Qui a éteint la lumière? Dieu, dans son infini bonté! Pour mieux voir dans le noir, il nous a fait aveugle des douleurs étrangères. Quel soulagement! J'ai cru un instant qu'il restait un espoir!

EPURATION

Mystères de la langue française! Prenez un dictionnaire, ouvrez le et cherchez épuration: "n. f. Action d'épurer. Action de purifier. "

L'assemblage de ces deux verbes, épurer et purifier, ne contient-il pas quelque chose de malsain? Et quelle ne sera pas votre surprise en regardant ce qui l'entoure: épuiser, éprouver, équation. Ainsi la preuve par trois, on épuise, on éprouve, une simple équation sur un bout de papier et c'est l'épuration.

Cela ne vous suffit pas? Qu'à cela ne tienne! Regardez à purifier! Autour, qu'y a-t'il? Pureté, purgatoire, purger, purin, purisme. Ben voyons! Il ne faut surtout pas être puriste lorsque l'on voit cette suite de mots antinomiques. Pas encore convaincu? Soit! Prenons alors le Latin!

EXPURGARE ( expurger, nettoyer ), EXPUGNARE ( vaincre, réduire, achever, épurer ), EXPUTESCERE ( se pourrir ). Ou bien PURGAMENTUM ( pourriture ), PURGATIO ( épuration, éclaircissement, explication, justification, expiation d'une faute ), et enfin PURGATUS ( purifié, pur, exempt de souillure, disculpé ).

Les mots dépassent bien souvent la pensée, trop peut être. D'une épuration, on passe à son éclaircissement, puis à son explication et même à sa justification.

Le pas est faible alors pour la disculpation. Afin d'éviter d'utiliser ces mots trop riche de sens aussi contradictoires, peut être devrions nous éviter d'avoir à les utiliser. Peut être également faudrait-il se méfier de ceux qui, pour le nier, en abusent.

FOLIE

Les notes s'enchaînent, entraînant mon fol esprit dans sa course échevelée, perdu dans les prémisses d'un retard, lapsus d'un moine hilare. Les vents d'automne mugissent dans l'oreille interne des sourds paradisiaques, essoufflés de cet air surabondant. L'espoir s'envole au dessus des cimes décimées de l'orient oublié. La vie renaît un soir de pleine Lune subrepticement agencée par l'horreur superficielle d'un nain diaphane. Le rouge se transmet de génération en génération, ne sautant jamais une étape de procréation, le meurtre étant son adepte inconditionnel. L'ivresse s'empare des rescapés, le

temps fuit et file par delà les montagnes de l'espoir, découvrant l'illusion au sein d'une clairière verte et abandonnée où gisent les coeurs solitaires massacrés. Le voile s'estompe, emportant la nudité macabre de la Lune tant convoitée. La Camarde sourit de ses belles dents déracinées. La peur succombe à l'effroi. Le râle dévale une dernière fois.

LARME

L'humeur morte répand ses bras tentaculaires
Ils me serrent au cou, au ventre, aux yeux, au coeur
Comme un oubli salin
Rocher à mon destin

Et sans savoir pourquoi je me noie sur la terre
En poisson qui n'aurait pour seule eau que ses pleurs
Et je résiste en vain
A ce sourire éteint  

MINUTES

MORT

Je saisis le paquet de cartes. Je les bats. Mon adversaire m'observe d'un oeil inquiet. Peut-être croit il que je vais essayer de tricher. Allons, il me connaît très mal. Je commence à servir les cartes. Deux pour lui, deux pour moi. Trois pour lui, trois pour moi. Voila. Il regarde son jeu. Il semble content de lui. Comme c'est drôle, il est content de lui alors qu'il n'a encore rien fait!

Je prend connaissance de mon jeu. Il demande deux cartes. Pendant qu'il prend ses cartes, je vois bien qu'il scrute si, par hasard, dans mes manches, il ne traînerait pas quelques cartes dissimulées. Allons! C'est bien inutile! De mon côté, je n'en prend qu'une et la pose sans la regarder à ma droite.

Combien de jetons mise-t'on? Aucun, la mise n'est pas en argent!

Mon adversaire, ravi, étale ses cartes une à une. Un superbe full de valets par les rois. Triomphal, il me dévisage. A mon tour, j'étale mes cartes. 10 de pique, dame de pique, roi de pique, as de pique. Le sourire de mon partenaire se fige. Il saisit lui même la dernière carte, celle posée à ma droite. Valet de pique!

J'ai gagné. Je me lève. Mon partenaire me suit. Arrivés au vestiaire, j'attrape ma faux de ma main droite. L'homme, toujours aussi méfiant envers moi, me demande si je n'ai pas triché. Je me retourne, tire mon capuchon, découvrant ma tête, et lui répond:

"Certainement pas. La Mort ne triche jamais." Et j'éclate en un rire qui découvre mes dents déjà mises à nue, ma main gauche squelettique posée sur son épaule .

PEUR

Une ombre noire dans le ciel, furtive, inquiétante, survole la plaine tel un rapace guettant sa proie. La nature, se doutant du danger, se tient silencieuse et attentive. Pas une seule trace d'être vivant dans cette région. Et pourtant, des milliers de terriers, de nids et de caches parsèment son étendue. Mais les animaux se cachent, à l'abri de cette ombre noire qui n'en finit pas de tournoyer. Le sifflement du vent pour seul bruit, chacun retient son souffle. Le Soleil darde de ses rayons chauds et brûlants. Et l'ombre continue ses cercles.

Wei, sur son cheval, suffoque sous ce Soleil d'été et toute cette poussière soulevée. Régulièrement, une toux rauque lui rappelle les désagréments du voyage à cheval. Si encore il allait au pas ou au trot. Mais à tout instant, un bref coup d'oeil vers le ciel l'en dissuade. Et c'est le galop. Le galop pour échapper à cette vision fantasmagorique, ombre noire dans un ciel bleu qui tourne et tourne encore. Wei la distingue mal à cette distance. De toute façon, il n'a pas très envie de savoir si c'est ce qu'il croit. Mieux vaut qu'ombre reste ombre.

Vu du ciel, ce petit bonhomme sur son cheval, cette traînée de poussière dans un monde éteint, endormi, est bien ridicule. Rien ne sert de courir, il ne fallait pas partir pour la plaine. Wei le sait mais il ne veut pas s'avouer vaincu. Une main sur l'encolure du cheval, une autre sur son épée, Wei presse de coups de talons sans cesse sa monture. Inutile d'ailleurs, la pauvre bête, affolée, va déjà au plus vite de ses capacités. Si seulement il arrive à atteindre la foret.

Il serait en sécurité dans la pénombre touffue, en sécurité face à Corfon, la créature noire qui le survole. Mais la distance est si grande, trop. Corfon joue avec lui. Elle lui laisse espérer. Elle tourne et tourne encore, agitant ses ailes nerveuses, ses serres acérées desserrées, son regard glacial fixé sur cette proie sans défense. Elle en a assez. Le jeu est fini et c'est le grand cri, rauque, froid, métallique tout pendant qu' elle pique droit sur Wei, les serres tendues en avant, les ailes repliées, la gueule ouverte.

Wei pousse lui aussi un cri, d'horreur et de peur panique. C'est fini, Corfon l'attaque. Il ne lui reste pourtant que 600 mètres avant le sous bois. Il se retourne, fixant cette vision pétrifiante. Ces serres acérées, ce corps replié en bolide noir et mortel, et cette gueule laissant apparaître les trois rangées de dents, véritables lames de rasoirs, triangulaires, magnifiques. Wei, timidement, dégaine son épée, sans conviction. Il a raison. Au premier assaut, les membres griffus lui lacèrent les deux bras levés en protection. Un battement d'ailes et Corfon agrippe Wei déjà sanglant par les épaules. Puis d'un coup de mâchoire, lui sectionne au trois quart la base de la tête. Un autre coup et la tête tombe, les yeux vides, apeurés, figés dans l'horreur de leur dernière vision. La vie s'en allant doucement, Wei peut certainement voir son corps inerte emporté par les mains aux doigts affilés, cette chose pendante, sanguinolente, s'envolant avec l'ombre noire, un dernier cri métallique l'accompagnant.

Quelques temps après, la vie a repris ses droits dans la plaine. Les lièvres sautent gaiement dans l'herbe drue, évitant le dernier souvenir de cette scène, le crâne gisant à terre, fige dans une grimace de douleurs et de peur. Au loin, un nuage de poussière indique que le cheval a fui, sain et sauf, s'en retournant vers la ville. Et comme pour souligner la désolation de Wei, un lièvre s'approche de son visage, le renifle et part, en faisant des petits bonds, vers la forêt, accomplissant les 500 derniers mètres qui l'en séparaient. Le lièvre continue son chemin, clopin-clopant, dans le sous-bois. Une flèche l'immobilise, perçant son poitrail de par en par.

Q.I.

Pour ceux qui n'aurait jamais très bien compris le sens de Q.I., voici un tableau pour les y aider.

Moins de 80 = Quasi Incurable
Entre 80 et 100 = Quidam Inopérant
Entre 100 et 110 = Qualité Impropre
Entre 110 et 120 = Quiproquo Imbécile
Entre 120 et 130 = Quincaillerie Innocente
Entre 130 et 145 = Quelquefois Illuminé
Plus de 145 = Quintessence Idyllique  

QUETE

Deux jambes qui courent! Dieu seul sait où? Vers le bonheur? Vers un amant oublié? Vers leur perte? Partout des jambes courent. Certaines en couples, d'autres isolement. C'est la folie du marathonien. Courir, encore courir! Rien ne saurait les arrêter. Courir de peur de se retrouver coincé. Courir de peur de ne plus marcher. Courir jusqu'à l'épuisement et même au delà. Courir, courir. Rien ne sert de courir, il faut mourir à point répond la vie. Qu'importe! Courir est leur moyen, leur but, leur passe-temps. Courir au risque de tout louper en allant trop vite. Courir au risque d'en avoir le moral coupé mais courir. Courir plus vite que son voisin, dépasser sa voisine et courir encore. Courir et ne pas se laisser par la Mort. Et pour cela, ne se faire dépasser par personne. Courir de peur de s'arrêter définitivement. Même seul, courir pour ne pas se faire rattraper.

A quoi bon! La Mort vous attend à l'arrivée avec les lauriers du vainqueur. Que l'on arrive premier ou dernier, il y aura toujours quelqu'un pour vous faire passer la ligne finale. On n'est jamais le dernier, il y a toujours quelqu'un qui vous suit, prêt à mourir à votre exemple. Certains courent si vite que la course en parait truquée. Qu'à cela ne tienne, les juges ferment les yeux et vous mourrez quand même. Apres tout, après l'effort, ce n'est pas le réconfort mais la Mort qui vous tend ses bras. Vous désirez courir encore? Pas de problème, vous voilà reparti pour un tour. Mais ne vous découragez pas dans votre quête! On atteint tous l'arrivée car après toute cette dépense d'énergie, il vous faut vous reposer. Finalement, la vie est bien faite car elle vous offre le repos éternel.

SOLITUDE

Planqué dans un recoin de bar enfumé, je vois
Des gens se rencontrer. Moi, assis à ma table,
Tournant et retournant dans le fond de ma tasse
Ma cuillère, ma vie dans cet express se noie.

Je flotte, absent de coeur et d'esprit dans les flots
Noirs, l'âme viciée de cet isolement.
L'air est lourd autour de moi et m'asphyxiant
Peu à peu, je sombre, tel pris dans un étau.

La danse infernale s'égare dans ses tours,
Prenant maintenant pour scène ma solitude.
Elle s'étend tel un liquide et me dénude
De toute envie, de tout plaisir et sans amour.

SPLEEN

L'ombre silencieuse s'immisce en moi aussi solidement qu'un serpent me mordrait à la gorge. Son venin m'aspire vers des profondeurs ignorées de mon âme endormie.

Me faut-il affronter ces remords, ces souvenirs délicats? Me faut il sourire à la Camarde qui me nargue en me faisant un pied de son nez cassé? Où est l'éternelle justice? Où est la quintessence de la clarté divine? Où est le réconfort? Où est l'espoir? Comment peut-il y avoir espoir lorsqu'il n'y a plus place pour le désespoir? Comment ce réconfort s'il ne peut plus y avoir de peine? Comment Dieu s'il n'y a plus vie? Comment justice s'il n'y a pas crime? Comment suis-je puisque je ne suis plus? Comment, puisqu'il n'y a plus de raisons, ni de causes, ni de conséquences, ni même de hasard? Le fleuve de la vie s'est tarie pour laisser place à l'océan de mes pensées sans profondeur ni consistance. Je coule fluide et visqueux dans le labyrinthe de mon cerveau décrépi et vaincu par la fatigue, par la lassitude d'un sort qui m'a été jeté à ma naissance. Je me noie dans mes larmes séchés et mes rires silencieux. Je m'abandonne à mes coupables péchés et à mes fautes innocentes. Je ne suis

plus qu'une pensée, moins que cela, une émotion. Moins encore, une sensation, une notion intuitive, un concept. Je suis le vide...

TABAC

Les trombones tordus, les mains crispées, j'attrape
Une tige. Filtrant mon anxiété latente
Et tirant sur mon vice enflammé, je dérape.
Ma vie part en fumée, soudain mise en attente.

Un flou se répandant dans mon esprit lascif,
Je rougie, m'assombris, perdant toute l'essence
De ma fougue, jusqu'à ces excès successifs
Sur mon corps, en mon coeur, transformant chaque sens.

Et c'est un souvenir qui surgit du fin fond,
Un reste écrasé dans un recoin trop obscur.
Ratatiné, je suis vidé sur tous les fronts.
Rien, il ne reste rien que des cendres impures.  

TEMPS

- Elles sont belles! Elles sont fraîches! Venez les acheter!
- A combien, vos heures, s'il vous plaît?
- A 60 minutes, ma p'tite dame!
- Bien, mettez m'en 3!
- Voila! 3 heures! Je vous met un bouquet de secondes pour accompagner vos instants?
- Je veux bien, merci.
- Voilà ma p'tite dame! Au revoir! Passez du bon temps! Elles sont belles, elles sont fraîches!

VIDE

Sable mouvant s'ouvrant sous mes pieds
Je suis là à me regarder m'enfoncer
Je souris devant ce malheur qui n'en est pas un
Je souris et je pleure ravi de ces secousses
Je m'enfonce et perd la notion du temps
Le temps, je n'ai pas le temps d'y songer
Je voyage dans les profondeurs de mon corps
J'oublie les raisons de ce delirium
Je songe et j'oublie ce qui me tue
J'oublie et je songe à ma venue
Je m'évade au sommet des vagues
Je coule et me noie dans mes larmes
Le rat du marais, Jean et Cocteau
Me poursuit innocent de ses griffes
Lion et Aigle retenus dans ma serre
Je fond Je divague et je pars
Pour un voyage o combien éternel
Dissous je me perd dans le néant