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Raison d'Etat

 

RAISON D'ETAT

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Cela fait déjà trois ans que les armées respectives des deux pays sont amassées à leur frontière commune. On ne se souvient plus trop pourquoi un différent était apparu. Il y avait certainement dû se produire un désaccord économique ou énergétique... Enfin, il y eut d'abord l'habituel gigantesque ballet diplomatique de part et d'autres; chacun essayant de convaincre l'autre du bon choix à faire. Mais rien n'y fit. Vint alors la tension dans les relations entre ces deux pays. Les corps diplomatiques rejoignirent leur pays d'origine et quelque chose comme une guerre froide s'installa. Chacun exhortait sa population à haïr l'autre afin de gonfler le sentiment froid du nationalisme. Il fallut des mois et des mois de propagandes, mais l'unité se fit contre le pays adverse, lui-même uni.

Alors, on commença à craindre une invasion. On massa les troupes aux frontières, déjà nombreuses. On fit des grands coups d'éclats télévisuels pour bien montrer au belligérant virtuel qu'on était fort et bien armé. On fit des parades, des mouvements de troupes, de la concentration de matériel militaire. On se préparait à une guerre imminente. Mais, les mois passaient et les armées devenaient de plus en plus immobiles.

La tension qui s'était un peu dissipée avec tous ces changements, revenait au galop. Elle engendrait la peur. Des deux cotes, on évitait soigneusement toutes provocations directes tant l'armement installé était meurtrié. De fait, rien ne se passait. Pas un affrontement, pas un coup de feu! L'armée avait l'ordre d'attendre une provocation. Mais rien ne vint.

Pendant trois ans, rien ne vint. Sauf, oui, sauf à l'arrière! Il y avait des contestataires, des antimilitaristes, des anarchistes. Des les premières manifestations, les journaux furent muselés, la télévision contrôlée. On ne voulait pas que l'autre sache quels étaient les problèmes intérieurs respectifs. On voulait toujours donner l'image d'un pays uni et décidé, donc fort. Alors on réprima dans l'impunité la plus totale les soulèvements. Mais la situation devenait de plus en plus bancale. Il fallait à nouveau refaire l'union après ces trois ans d'attente tendue.

D'autant plus qu'aujourd'hui, aux contestataires s'unissent les travailleurs qui assument tout le poids économique d'un tel développement des forces. Que faire? La solution parait évidente: il faut faire cette maudite guerre. Oui, mais comment? Comment faire la guerre? On ne peut la faire impunément. Les autres nous étaient tombées pour ainsi dire dessus. Mais celle la? Il faut qu'il y ait un casus belli, une raison suffisante pour réaliser la cohésion de toutes les masses populaires susceptibles de participer à l'effort national. De plus, pour engager la guerre et pour la gagner, il faut connaître l'ennemi... Comment? On n'a plus aucun renseignement fiable sur l'adversaire.

Alors tout naturellement, on décide d'envoyer un éclaireur pour analyser l'ennemi. On cherche dans l'armée quel élément pourrait répondre aux besoins de la mission. Un jeune soldat de vingt ans est sélectionné pour ses capacités linguistiques, physiques et d'espionnage. Apres une séparation tendre avec ses parents, chaleureuse avec sa petite amie, on l'envoie donc vers les lignes ennemies, suivi de près par une division d'élite prête à intervenir jusqu'à la frontière.

Lentement, attentif, le jeune soldat tout de gris vêtu, avance dans la forêt. Il guette le moindre mouvement entre les arbres. Les ordres sont clairs. Il doit éviter de se faire prendre, mais, si cela doit néanmoins se produire, il ne lui faudra alors oppose aucune résistance. Il piste des yeux le moindre vert kaki, couleur des uniformes adverses. Heureusement, dans cette forêt, il n'est sensé trouver personne. Ce n'est qu'après, une fois la frontière passe, que tout commencera. Celle-ci approchant, il redouble d'attention.

 

Soudainement, devant lui, il aperçoit une combinaison ennemie. Tout comme lui, l'homme a l'air étonné, figé. Il est également âgé d'environ vingt ans. Ils sont à dix mètres l'un de l'autre. Que faire? Les deux soldats éclaireurs se regardent, ahuris, déconcertés. Que doivent-ils faire devant un seul soldat ennemi? Se rendre? Lutter? Cela n'est pas prévu dans leur mission de reconnaissance. Par contre, cela était prévu par les hauts-commandements. Les Deux hommes, les yeux emplis de panique, tombent au sol, sans vie. Pour chacun, une balle a brisé cette vie toute fraîche, tous leurs espoirs, à égalité, c'est à dire à néant.

Les deux armées d'élites face à face, distantes de trois cent mètres environ, font maintenant demi-tour. Elles vont faire leur rapport respectif sur cette fin de mission. Les rapports seront portés à la connaissance de toute la population avec comme leitmotiv: "L'ennemi a abattu froidement un des enfants de notre chere patrie lors d'une patrouille de routine à la frontiere. Il n'avait que vingt ans et sa petite amie pleure maintenant sa mort dans les bras des parents du soldat fusille. Vengeons-le! Unissons-nous pour combattre ses bourreaux!" et d'autres phrases du même style. La Guerre éclatera, à la grande joie des généraux. Sang, larmes et haines...

 

Et tout cela pour deux jeunes hommes décédés d'une balle chacun, une balle tirée dans le dos: une rose à la bandoulière du fusil!