L’hiver, cachés...
Dehors bien fort il neigera ;
Le son des flocons sur l'ardoise
Remplacera celui des pas
Des chats espions d'heures d'extase.
Nous serons tous deux sur le lit :
Deux âmes et corps de passage
Frissonnant du froid de la nuit,
Désireux de n'être pas sages.
Les bois du sommier craqueront :
Ce seront nos bûches ardentes.
Nous nous glisserons sous les ponts
Que forment les draps, sous la tente.
Et sous ce petit chapiteau
(Rejailli tout droit de l'enfance)
Le spectacle sera si beau
Que déjà j'en pleure à l'avance.
Le sommeil nous viendra fort tard ;
Dormant dans les bras l'un de l'autre
Nous aurons honoré Ronsard,
Nous aurons été ses apôtres.
J'aurai vu passer dans ces yeux
-Qui sont la réelle importance-
L'éclair fugitif et radieux :
Le fantôme de la jouissance.
Hervé Michel Gillen
10 septembre 1983
h.m.gillen@voila.fr
Chacun voit midi à sa porte
Deux prédicateurs un jeune homme et une jeune femme tenant chacun une serviette en cuir à la main sur le perron d'une maison. Face à eux, devant sa porte d'entrée ouverte, une ménagère de forte corpulence, beaucoup plus âgée, foulard noué sur la tête, chiffon à poussières dans une main, aérosol dans l'autre.
Le jeune homme : Bonjour madame ! Savez-vous que l'apocalypse est pour demain ?
La ménagère : Comment voulez-vous qu'j'vous crois ? Vous dites tous la même chose ! Mais j'vous fiche mon billet qu'demain soir j'vais m'endormir et qu'il se s'ra encore rien passé ! Pas même avec mon mari ! Et pourtant, j's'rais pas contre votre fin du monde, si ça pouvait seul'ment réveiller une dernière fois ses ardeurs ! Si vous voyez c'que j'veux dire...
Le jeune homme (embarrassé) : Excusez-moi, je crois que vous ne m'avez pas bien compris. Quand je dis "demain", ce n'est pas "demain DEMAIN", c'est "demain" au sens large. Ce que je veux dire par là, c'est que l'apocalypse est prévue dans un avenir plus ou moins proche.
La ménagère : Prévue ! Prévue ! Et prévue par qui d'abord ? On n'en entend jamais parler aux informations ! Et puis, si c'est comme la météo, ils se trompent tout l'temps ! Ah ceux-là, les mété'rologues, qu'ils viennent jamais sonner à ma porte, parce que j'les r'cevrais à coups d'trique ! Non mais !... On voit bien qu'c'est pas eux qui font les carreaux !
Le jeune homme (légèrement apeuré) : Pour en revenir à votre question... chère madame, l'apocalypse est prévue dans la Bible, et ce, depuis des siècles.
La ménagère : Depuis des siècles ? Ils sont encore plus cons qu'les mété'rologues alors ! Vu qu'on a toujours rien vu !
La jeune femme (intervenant pour la 1ère fois, un peu timide) : C'est parce que l'apocalypse a été prévue pour la fin des temps.
La ménagère : Ben tiens ! Ca m'aurait étonnée !
Le jeune homme : Et la fin des temps, c'est pour bientôt. C'est écrit dans la Bible. Vous connaissez un peu la Bible ?
La ménagère : Bien sûr ! De nom, comme le Coran, ou l'Kama-sutra !
Le jeune homme : Mais vous ne l'avez jamais lue ?
La ménagère : Non. (Regardant la jeune femme) J'ai pas qu'ça à faire, moi ! Et qui l'a écrite, d'abord ?
La jeune femme : Dieu, madame.
La ménagère : Ben tiens ! Elle en manque pas une, celle-là !
Le jeune homme : Enfin... Pour être plus précis, elle a été écrite par des hommes inspirés par Dieu.
La ménagère : Des illuminés, quoi !
Le jeune homme : Qu'entendez-vous par là ?
La ménagère : Des zozos ! Des fêlés ! Des dérangés d'la cal'basse ! Des gens comme vous, quoi !
La jeune femme : Mais madame, soyez correcte !
La ménagère : Oh vous, la reine des réponses idiotes, fermez-la ! Quant à vous, monsieur "Je sais tout", ce s'rait pas votre Dieu qu'aurait dit qu'on est qu'poussière et qu'on r'tournera en poussière ?
Le jeune homme (craintif) : Heu... Oui.
La ménagère (les aspergeant de son aérosol et les repoussant à coups de chiffon) : Eh bien tenez ! Regardez c'que j'en fais, moi, d'la poussière ! Allez, ouste ! Ouste ! Dehors ! Disparaissez ! Acariens !
Les deux prédicateurs s'éloignent rapidement, effrayés.
La ménagère (criant) : Et n'y r'venez pas, ou ce s'ra l'aspirateur ! (Puis, à elle-même, en rentrant) Non mais !... C'est bien beau tout ça, mais c'est pas leur Dieu qui va faire mes carreaux ! Pas plus qu'pour les hindous cette foutue fainéante de déesse à cinq bras !
Hervé Michel Gillen
h.m.gillen@voila.fr
Retrouvez l'auteur sur www.conscelebres.com