Thymocles
***** HYPNOS EXAGÈRE
Vous pouvez envoyer directement vos impressions a Thymocles... ****** ///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////// Pièce de théâtre en cinq actes - Durée : 90 mn. ///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////// ====================Comédie==================== SYNOPSIS
Bernadette s'aperçoit des pouvoirs peu ordinaires d'un médecin hypnotiseur. Elle songe d'abord en tirer profit pour paraître séduisante aux yeux d'un homme. Mais les événements qui vont suivre lui donnent une autre idée : et si l'hypnotiseur devenait à son tour l'hypnotisé ? Les complices acquiescent, et l'idée est trouvée d'envoyer Hypnos chez les Grecs. Mais tout ceci ne peut réussir qu'à une seule condition : personne ne doit prononcer le fatidique chiffre " zéro " capable d'éveiller tous les dociles endormis. ///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////// LES PERSONNAGES
*** Bernadette - Jeune chômeuse de 24 ans Sylvie - Soeur de Bernadette ; étudiante en Arts ; 25 ans Richard Storm - Médecin hypnotiseur ; 45 ans Jacqueline Lombard - Puéricultrice ; 38 ans Vincent Lombard - Chauffeur de Taxi ; 38 ans ; mari de Jacqueline Marius - Homme d'affaires ; 35 ans L'Electricien - 50 ans La Préposée - Employée aux PTT ; 50 ans *** ACTE I
Le bureau d'un médecin hypnotiseur. Un lieu spacieux décoré de tableaux surréalistes et de statuettes africaines. Un téléphone sur un guéridon, près d'une porte. Un peu plus loin, un poste de radio avec des enceintes acoustiques. Un mobilier style second Empire : une grande bibliothèque ; des livres épais sont posés à côté, en pile, sur le sol. Une table de travail encombrée de papiers, un fauteuil, des chaises, une armoire... Au milieu de la pièce et contrastant avec les meubles anciens, un divan de style design . Juste au dessus, pend une ampoule, elle-même retenue à un mobile argenté aux formes curieuses. Au devant, les arbustes et arbrisseaux d'un jardin. Scène 1 : Quand le rideau se lève, le DOCTEUR Richard STORM est allongé sur plusieurs chaises alignées près du divan, et il somnole en demeurant raide et immobile. L'ampoule se balance..
Les lumières qui éclairent la scène sont tamisées. La pièce est dans une semi-obscurité. BERNADETTE. - Beau jardin ! Je peux te parler ? SYLVIE. - A quel sujet ? BERNADETTE. - Au sujet d'un homme. SYLVIE. - Quoi ? Tu as réussi à te faire draguer ? BERNADETTE. - Non, non... SYLVIE. - Ah bon... Je me disais. BERNADETTE. - Tu te disais quoi ? SYLVIE. - Non, rien. BERNADETTE. - Je ne te parlais pas d'un homme en particulier. SYLVIE. - Tu me parlais de tous les hommes, en général. BERNADETTE. - J'aimerais n'en choisir qu'un seul. D'après toi, maintenant, est-ce que je peux ? SYLVIE. - Est-ce que tu peux ? Bien-sûr, petite soeur, si tu trouves un homme qui t'a choisie, tu peux le choisir. BERNADETTE (se tourne vers le public). - Ah oui ! Je peux donc choisir parmi tout ce monde ? SYLVIE (à son tour, regarde le public). - Oui, sauf que... je te conseille de rester modeste sur le sujet. BERNADETTE. - Et pourquoi donc, grande soeur ? SYLVIE. - Tu n'as pas de boulot. Tu es au chômage. BERNADETTE. - Un boulot. L'argent. Le travail... est-ce nécessaire pour plaire ? SYLVIE. - C'est qu'en plus, Bernadette, tu n'es pas très... BERNADETTE. - Pas très quoi ? SYLVIE. - Et bien, ta tenue... ton allure... ta coiffure... BERNADETTE (s'asseyant sur le rebord de la scène). - Je m'habille et je me coiffe comme je l'entends... et pour que ce soit assorti au reste. SYLVIE. - Oui, justement. Si tu entends par le reste, les détails physiques... BERNADETTE. - Et qu'est-ce que cela empêche ? SYLVIE. - Oh... rien. Il faut de tout pour faire un monde. Et il existe toujours quelques crapauds qui restent crapauds, même après le baiser. BERNADETTE. - Comme tu dis, la beauté, ce sont des normes. Et moi, en plus, je n'ai pas envie d'être modeste. Crois-tu que ?... SYLVIE (interrompant). - Non. Aucun espoir. BERNADETTE. - Par contraste, j'aimerais épouser un homme riche et puissant. Le plus important de tous. SYLVIE. - Aïaïaïe ! Tu vas te casser le nez. BERNADETTE. - Il sera là pour me soigner. Que connais-tu de l'amour ? SYLVIE. - Vois déjà, comme la nature nous a fait si différente l'une de l'autre. BERNADETTE. - C'est bien ce qu'il me semblait. En ne connaissant rien de l'amour, tu ne peux rien connaître de la beauté. (Elle tourne la tête) Oh regarde ! Il y a une fenêtre. Elle est ouverte, et je remarque un homme allongé (Intriguée, elle se penche de plus en plus en arrière). SYLVIE (retiens sa soeur). - Attention. On pourrait se faire remarquer ! BERNADETTE. - Il ne voit rien. Il dort. N'est-il pas séduisant ? SYLVIE. - Laisse tomber. (Elle regarde sa soeur). Mais si tu t'entêtes... je préfère m'en aller plutôt que d'assister... à une catastrophe. (Elle s'éloigne). BERNADETTE (vexée). - C'est ça... dans ce cas, moi, je reste pour savoir qui il est, et toi, tu retournes à la fac suivre ton cours sur la Beauté du corps masculin dans l'Art réaliste. SYLVIE (en s'en allant). - Oh... oh ! Mieux vaut aller de la théorie à la pratique, que l'inverse. Te voilà prévenue ! Ciao ! Scène 2 : La scène s'éclaire. Dans l'entrebâillement de la porte apparaît une élégante jeune femme : MADAME Jacqueline LOMBARD.Madame LOMBARD (aperçoit le docteur allongé). - Y a quelqu'un ? (Elle avance prudemment, et contourne le divan. Une fois près du docteur, elle tend son bras dans sa direction). Madame Jacqueline Lombard. Enchantée ! (Le docteur ne réagit pas. Consternée, Madame Lombard retire son bras, puis elle s'installe sur le divan, et s'allonge en se mettant tête-bêche par rapport au médecin). Les lumières de la scène s'éteignent. BERNADETTE. - Voilà qui est intéressant. C'est un médecin et à ce que j'ai compris, il est hypnotiseur. Ça tombe bien, car je me demandais si on pouvait croire aux pouvoirs de l'hypnose. Nos journaux nous racontent tellement de bêtises. Eh bien, vérifions. Scène 3 : La scène s'éclaire.Docteur STORM. - 5, 4, 3, 2, 1, 0 ! (Docteur Storm se donne une gifle pour se réveiller, mais il manque de tomber, et provoque le fracas d'un chamboulement de chaises qui fait se redresser Madame Lombard. Pour se relever, le docteur prend appui sur les jambes de sa patiente, et se retrouve, la tête entre ses cuisses). Ouh la la... Il y a parfois des réveils qui donnent de drôles de surprises ! (Il se redonne une gifle). Me voilà revenu à la réalité. (Il se relève complètement, et aperçoit sa patiente). Madame Lombaire ? Madame LOMBARD (lui tend la main). - Lombard. Jacqueline Lombard. Enchantée. Docteur STORM (serre la main). - Docteur Storm. Enchanté. Quel est votre problème ? Madame LOMBARD. - Le stress, docteur. J'ai follement besoin de sommeil. Docteur STORM (récite). - Le sommeil a toujours été le plus miraculeux des remèdes. Il nous vient des temps antiques. Jamais on n'en trouvera de meilleur. D'ailleurs, disait-on déjà dans l'Antiquité que le sommeil était le plus beau des présents que les dieux avaient offert aux hommes. Madame LOMBARD. - Qui donc disait cela ? Docteur STORM. - Ce devait être Pluton, ou Platon... ou un autre de ces dieux philosophes. Je ne me souviens plus très bien. Madame LOMBARD. - Etes-vous capable, docteur, avec l'hypnose, de me faire vivre des rêves merveilleux ? Docteur STORM. - Bien-sûr. Là est mon métier. Avec moi, vous vous envolez au paradis. Madame LOMBARD. - Au paradis ! Je n'ose croire que vous avez un tel talent. Docteur STORM. - Vous allez le vérifier. Allongez-vous donc. Madame LOMBARD (tandis qu'elle s'installe). - Vous êtes certain, également, que je ne ferai pas de cauchemars ? Docteur STORM. - Je vous l'assure. Le paradis dont vous rêvez deviendra vrai, et le vrai paradis sera exactement le paradis de vos rêves... car avec l'hypnose, il est possible de tout contrôler. C'est le docteur qui tient les ficelles. Vous n'êtes plus que marionnette, et je vous articule selon mes souhaits. Madame LOMBARD. - Comment donc, docteur ! Vous voulez m'articuler comme une chose ! Docteur STORM. - Il me faut articuler, articuler... oui, articuler les MOTS. Parce que ma voix doit pénétrer en vous, afin de vous transporter... afin de vous élever... Madame LOMBARD (rassurée). - Si c'est pour me conduire au paradis, je ne suis pas contre. Le Docteur Storm appuie sur un interrupteur qui allume l'ampoule suspendue au-dessus du divan. Docteur STORM (sur un ton grave et solennel). - Fixez cette ampoule, et détendez-vous. Vous êtes ici en sécurité, dans un lieu de paix, d'harmonie, et de sérénité... Madame LOMBARD (relève la tête). - J'aimerai le croire. Docteur STORM (l'oblige à reposer la tête). - Tous vos soucis s'en vont... Ici, vous n'avez plus à lutter contre le temps, ni contre l'argent... ni, pour l'argent, et vous obéissez entièrement à votre médecin chéri. Madame LOMBARD. - Oui. Docteur STORM. - Désormais vous n'avez plus rien à craindre. Vous sentez les muscles de vos bras et de vos jambes se détendre... Votre corps devient lourd, très lourd, très très lourd. Madame LOMBARD. - Hélas, Docteur. Cette lourdeur ! Ça me fait penser à mes soucis de poids ! Docteur STORM. - ...Tous vos soucis de poids s'en vont également. Avec l'hypnose, vous maigrissez en trois secondes (Il hausse les épaules de dépit). Le Docteur Storm donne un léger coup à l'ampoule pour qu'elle se balance. Alors, en entendant le nombre 10, vous dormirez, et vous vous réveillerez en ayant tout oublié, seulement lorsque vous entendrez le chiffre ZERO. C'est d'accord ? Madame LOMBARD. - C'est d'accord. 1, 2, 3... Docteur STORM (l'interrompt). - Mais non ! C'est moi qui compte ! Pauvre idiote ! Madame LOMBARD. - Oui. Docteur STORM (en parlant vite). - Vous avez sommeil de plus en plus. Votre tête est lourde. Un. Deux. Trois. Vous vous laissez entraîner par le courant. Quatre. Cinq. Six. Vous n'avez plus peur de rien. Les soucis, les craintes se sont éloignés de vous. Sept. Huit. Vous êtes guidée par ma voix... Neuf. Maintenant, vous allez dormir. Dix. Vous dormez. (Sur un ton un peu enjoué). Est-ce que vous dormez ? Madame LOMBARD. - Oui, je dors. Docteur STORM. - Ouf ! Pas trop tôt. C'est qu'elle m'a résisté la vache ! (Il se penche vers elle / Il prend un air attendri) Il est difficile d'exprimer l'effet que je ressens, lorsque je me retrouve avec quelqu'un, une femme au demeurant, qui est d'un seul coup, entièrement à moi. Madame LOMBARD. - Je suis entièrement à vous. Docteur STORM (se met à roucouler). - Oui, vous êtes entièrement à moi. Madame LOMBARD. - Oui, je suis entièrement à vous. Docteur STORM (approche ses mains de sa patiente) . - Vous acceptez tout ce que ma voix vous demande. Vous êtes entièrement à moi. Madame LOMBARD. - Oui, je suis entièrement à vous. Docteur STORM (à lui-même). - Je me sens sur un petit nuage... Madame LOMBARD (répète). - Je me sens sur un petit nuage. Docteur STORM. - Oui, c'est le paradis, et vous êtes entièrement à moi. Madame LOMBARD. - Je suis entièrement à vous. Docteur STORM (il desserre sa cravate et déboutonne le bouton de son col). - Pour le paradis, je trouve qu'il fait un peu trop chaud, ici... Madame LOMBARD. - Il fait trop chaud. Machinalement, pour prendre appui, le Docteur Storm pose sa main sur la cuisse de sa patiente. Il remarque subitement son geste, et retire sa main. Docteur STORM. - Oui, il fait trop chaud. Ouh la la... Madame LOMBARD. - Ouh la la... Docteur STORM (avec empressement). - Attendez, que je réfléchisse un peu à la suite... (Il s'avance vers le public). Elle m'a dit seulement qu'elle ne voulait plus de stress. Elle n'en a pas dit davantage. Elle ne m'a posé aucune condition pour cela. D'abord, est-ce que je suis venu la chercher, moi ? Non, c'est elle qui a voulu venir à tout prix. Madame LOMBARD. - Je veux venir à tout prix. Docteur STORM. - Tenez, vous voyez ! Je vous l'avais bien dit. (Se tournant vers sa patiente, et d'une voix grave...) Jacqueline... Madame LOMBARD. - Oui, Richard. Docteur STORM (en aparté). - Tu dois connaître la Vérité. Au paradis, les lois du Destin sont implacables. Nous devons être nus. Madame LOMBARD. - Nous devons être nus. Docteur STORM. - Oui, nous devons être nus. Alors, vous devez écouter ce que ma voix vous ordonne. Madame LOMBARD. - Oui. Docteur STORM. - Et si nous devons être nus, la voix vous demande donc ?... Madame LOMBARD. - Donc. Docteur STORM. - Donc... de vous dévêtir, bien-sûr ! Madame LOMBARD - Oui. Docteur STORM (excité et embarrassé). - Attendez plutôt, chère madame... juste un petit instant (Il va allumer la radio. Air rock'n roll qui fait l'ambiance habituelle d'une discothèque. Des spots de couleurs clignotent. Madame Lombard se lève progressivement, en dansant sur le rythme musical. Le docteur s'empare d'un micro. Il entre dans le rôle d'un animateur). Bienvenue messieurs dames ! Au « Paradis », notre superbe, spectaculaire, et formidable cabaret ! Pour un numéro de show, hors du commun ! Venue rien que pour vous, veuillez applaudir, messieurs dames, notre superbe, formidable et extraordinaire danseuse, Jacqueline Lombard ! (A madame Lombard). Et maintenant, nous allons commencer par enlever la veste. (Madame Lombard retire sa veste, selon le rythme musical, comme si elle effectuait un numéro de strip-tease. Elle jette sa veste au docteur qui la rattrape) Bravo ! Formidable ! Continuons alors... avec la jupe. (Madame Lombard retire sa jupe. Même topo.) Et maintenant, on s'occupe de la chemise. (Madame Lombard, continue d'obéir...). La musique est interrompue par une suave voix féminine qui annonce : « Le numéro gagnant de notre jeu concours est le numéro douze mille cinq cent huit. Douze mille cinq cent huit. Un... deux... » Le Docteur Storm réagit subitement, pose son micro pour éteindre la radio, mais il arrive trop tard. «...Cinq ... zéro ...huit. » Madame LOMBARD (qui se réveille). - Zéro ? (elle crie) Ah ! Que se passe t-il ? Retour à la lumière ambiante. Docteur STORM. - Il y avait un zéro. Je n'ai pas eu le numéro gagnant. Madame LOMBARD. - Je suis chez vous, docteur, et presque nue ! Docteur STORM. - Oh ça... Je l'ai remarqué. Madame LOMBARD. - Mais, je ne me souviens plus de rien. Docteur STORM. - Forcément ! Votre conscience est en total désaccord avec votre inconscient. Madame LOMBARD. - Et la cause de ce désaccord ? Docteur STORM. - Un désaccord habituel. Il fallait laisser débattre, vous comprenez. Madame LOMBARD (ramassant ses vêtements pour se rhabiller). - Ça vous arrive souvent ? Docteur STORM. - Quoi donc ? Madame LOMBARD. - De rencontrer ce genre de désaccord chez vos patientes ? Docteur STORM. - C'est courant chez les femmes. D'ailleurs, même ma femme eut à souffrir un jour de cette terrible dualité. Madame LOMBARD. - Et que s'est-il passé ? Docteur STORM. - Rien. J'ai résolu le dilemme en décidant de la laisser tout le temps dormir. Madame LOMBARD. - Tout le temps ? Mais lorsque vous l'avez épousée... Docteur STORM. - Elle dormait déjà. Madame LOMBARD. - Elle a dit « oui » à monsieur le maire en dormant ? Docteur STORM. - Parfaitement. Madame LOMBARD. - Et vous avez signé les yeux fermés. Docteur STORM. - Elle oui. Pas moi ! Madame LOMBARD. - Mais si un jour elle se réveille ! Docteur STORM. - Ce serait la catastrophe. Elle ne supporterait pas. (On entend la sonnerie de la porte d'entrée.) Ah... Ce doit être le prochain patient. J'y vais. Le Docteur Storm s'en va. Madame Lombard achève de se rhabiller. Madame LOMBARD (seule). - Ça alors, quel effet ! Le type est plutôt gonflé, mais vu l'efficacité du truc, y a vraiment de quoi hésiter ! (Elle hésite) Paraît que c'est l'efficacité qui compte le plus... Docteur STORM (revenant). - Voilà, voilà. Donc, votre séance est maintenant terminée, Madame Lombard. Vous prenez rendez-vous pour demain même heure ? Madame LOMBARD. - Pour aller plus loin ? Docteur STORM. - C'est ça. Pour aller plus loin. Dans l'expérience scientifique. Madame LOMBARD. - J'accepte d'être le cobaye de votre science. Docteur STORM. - Si vous le dites. Le Docteur Storm prend un stylo et se penche sur son bureau pour noter le rendez-vous sur un cahier. Ensuite, il se dirige vers Madame Lombard et lui tend la main. Bien. Je vous dis au-revoir. J'espère que vous vous sentez déjà un peu mieux. Madame LOMBARD (lui tend aussi la main). - Oui, en effet. Ça me fait des frissons un peu partout. (Elle va vers la porte). Au revoir... Richard. La porte se referme derrière elle. Docteur STORM (seul / Il se moque de sa patiente ). - « Ça me fait des frissons un peu partout ». Ah ! J'ai horreur de ça, quand elles sont volontaires. Ça me coupe l'envie. Scène 4 : Un halo éclaire Bernadette.BERNADETTE - Pas mal, pas mal, docteur. Docteur STORM. - Quelqu'un m'observait donc ? BERNADETTE (rejoignant la scène). - J'ai tout vu, tout entendu. Docteur STORM. - Vous n'avez pas honte ? BERNADETTE. - Et vous ? Docteur STORM. - N'essayez pas d'être mon maître-chanteur. BERNADETTE. - D'abord, ça serait "maîtresse-chanteuse"... Docteur STORM. - Pour la maîtresse, c'est tout vu. Je refuse. BERNADETTE. - Je viens pour essayer, moi aussi. Docteur STORM. - Ce n'est pas le genre de traitement qu'il vous faut. BERNADETTE. - Qu'en savez-vous ? Docteur STORM. - Je suis médecin, (en aparté) et je peux quand même m'en trouver des qui sont un peu mieux. Madame LOMBARD. - Je parie que vous n'êtes pas capable... Docteur STORM. - De quoi ? BERNADETTE. - De faire à moi, ce que vous avez fait à l'autre. Docteur STORM. - Oh, ça non, je n'en suis pas capable. Pas du tout. (en aparté). C'est qu'il me manque la motivation. (à Bernadette) De plus, vous êtes au courant. Vous avez tout vu. BERNADETTE (feignant de tomber). - Oh la la... Je ne sais pas ce qui se passe tout à coup, mais j'ai drôlement sommeil. Docteur STORM (la retenant). - Bon. D'accord. Alors, allongez-vous. (en aparté) Après, je serai débarrassé. (Il fait se balancer l'ampoule / à Bernadette) Comment vous appelez-vous ? BERNADETTE. - Bernadette. Docteur STORM. - Et quel est votre problème, Bernadette ? BERNADETTE. - Je suis au chômage. Je cherche un travail. Docteur STORM. - On peut voir ça. Fixez-donc cette ampoule. Gardez les yeux ouverts. Vous sentez le sommeil vous gagner de plus en plus. Votre tête est lourde. Vous ne sentez plus le bout de vos doigts (Bernadette remue le bout de ses doigts). Lorsque je prononcerai le nombre 10, vous dormirez entièrement en gardant les yeux ouverts, et lorsque je dirai "zéro", vous vous réveillerez en ayant tout oublié. Cinq, six, sept, huit, neuf, dix. Vous dormez. BERNADETTE. - Oui, je dors. Le Docteur STORM. - Vous êtes dans une cuisine. Une cuisine enchantée. Vous souffrez de ne pouvoir travailler... mais cette cuisine là, vous offre du travail en quantité. Bientôt, ce sera le soulagement. Vous attendez avec une folle impatience de pouvoir travailler. BERNADETTE. - J'attends... Docteur STORM. - Oui, seulement, on ne feignasse pas en restant allongée. Levez-vous donc... Allez... Levez-vous... (Pendant ce temps, le docteur retire une boite d'une armoire.) Venez vers votre travail. Venez... Venez... (Bernadette est devant la boite). Penchez-vous maintenant. Que voyez-vous dans cette boite ? BERNADETTE (en se penchant). - Ça ressemble à un nécessaire à cirage. Le docteur s'installe dans un fauteuil, tend une chaussure en direction de Bernadette. Docteur STORM. - Alors, puisque le cirage est là, je vous laisse la liberté de cirer. Bernadette obéit : elle étale le cirage et frotte avec une brosse la chaussure du docteur. Docteur STORM. - Cirez, cirez, cirez... (Il répète jusqu'à inverser les syllabes)... récit, récit, récit... (Il lui tend son autre pied). Cirez... cirez... Ce sont aussi des notes de musique. (Il cherche le ton). Si...Ré, Si...Ré...Voi-là, c'est-bien, c'est fi-ni. BERNADETTE. - Je n'ai donc plus rien à cirer. Docteur STORM. - Mais si... (cherchant encore le ton)... Si... Si dodo, si ré sol la (il répète cirez sol là, en montrant le sol). Il faudrait passer de "si sol, mi-doré", à... "la sol si doré". Non, plutôt, vous allez me cirer les meubles, mais d'abord il faut retirer la poussière... (Il sort un instant et revient avec un plumeau). Et pour retirer la poussière, cet assemblage de plumes, d'où le joli nom de plumeau, à ne pas confondre avec plumage, la nuance est selon l'espèce de pigeon auquel on a à faire. (A Bernadette) Prenez-le dans vos mains, et faîtes-moi donc voler la poussière de chacun des meubles, et sans oublier les étagères de la bibliothèque. Vous commencerez par l'armoire, et vous irez dans le sens des aiguilles d'une montre. Bernadette exécute les ordres. Le docteur range la boite à cirage, et sort un magazine avec lequel il s'installe dans un fauteuil. Docteur STORM (à lui-même). - Il n'y a pas à dire. Il s'agit bien là du plus beau des métiers. Côté rendement... Le taylorisme n'a rien inventé. Dommage que je parte bientôt en vacances. Bon, il faut bien se résigner, certaines fois, à faire comme tout le monde. Le problème des vacances, c'est que j'hésite toujours entre la mer et la montagne. A cet instant, Bernadette arrive vers la table encombrée de papiers. Le docteur se lève aussitôt. Docteur STORM. - Stop ! (Bernadette se fige). Approchez encore, et regardez ce qu'il y a sur la table. BERNADETTE (en posant les mains). - Ce sont là des papiers... deux piles de papiers. Docteur STORM. - Bien. Alors, vous allez prendre ces deux piles de papiers, l'une après l'autre, et les ranger dans l'armoire qui est juste en face. Bernadette, d'un geste mécanique, prend une pile de papiers, s'avance avec, vers une armoire qu'elle ouvre. Après avoir déposé la première pile, elle vient rechercher la seconde. Le Docteur Storm, pendant ce temps, prend le plumeau et époussette lui-même la table. Docteur STORM. - Il faut quand même bien collaborer un peu aux tâches ménagères... Ça me déprime tellement de penser aux prochaines vacances. Je crois que l'encaustique se trouve dans un de ces tiroirs. (Il ouvre un tiroir, puis un autre...) Voilà... Bernadette, Bernadette... Venez donc là prendre l'encaustique et le chiffon. (Bernadette tend les bras pour saisir les éléments). Attention de ne pas renverser le bidon. Et maintenant, vous me cirez chaque meuble que vous avez dépoussiéré. (D'une voix forte). Allez, au boulot, et que ça saute ! Bernadette fait un saut sur place, et exécute son travail à vive allure. Docteur STORM (s'adressant au public). - Un homme qui rêve en vaut deux. Il rêve et il marche, il rêve et il parle, ou, il rêve et il travaille. Le sujet est tabou, et pourtant, c'est un idéal, pour les hommes, comme pour la société. Le rêve est le paradis des hommes sur terre. L'hypnose en détient les clefs. BERNADETTE. - C'est tout ? (Elle revient avec le bidon d'encaustique et le chiffon). Docteur STORM. - Eh non... nous devons continuer les exercices. (Il s'empare du bidon et du chiffon, et commande d'une voix forte). Demi-tour - droite! (Bernadette obéit). En avant, marche ! Une-deux, une-deux, une-deux. (Bernadette exécute le pas militaire) Arrêt ! Demi-tour - droite ! A plat ventre ! (Bernadette se jette à plat ventre sur le sol). Vous voyez là cinq gros livres que vous devez ranger sur les étagères de la bibliothèque. Vous les prenez un par un, et vous les disposez délicatement sur l'étagère du bas. Pendant que Bernadette obéit, le Docteur Storm pose un oeil sur l'ouverture du bidon, le secoue, puis le retourne... Docteur STORM. - J'aurai dû lui suggérer, en plus, l'économie. Bon. Trop tard. ( Il se dirige vers une corbeille, dans laquelle il jette le bidon, et avec, le chiffon, puis il regagne son fauteuil et observe Bernadette). Plus que deux... plus qu'un... Zéro. BERNADETTE (qui se réveille). - Qu'est-ce que je fais là ? Devant votre bibliothèque ? Je dois peut-être comprendre que j'étais en train de ranger vos livres ? Docteur STORM. - Et vous avez fini. BERNADETTE. - C'est donc ça ? Vous m'avez endormie pour me faire travailler. Docteur STORM. - N'est-ce pas vous qui m'avez demandé à travailler ? BERNADETTE. - Certainement pas pour un escroc. Docteur STORM. - Pourquoi donc vous plaindre ? Vous ne pouvez pas être épuisée par un travail que vous avez accompli en dormant. BERNADETTE (humant). - Et je remarque... cette odeur de cire. Docteur STORM. - Vous avez vidé tout mon bidon d'encaustique. BERNADETTE. - Comment ? j'ai aussi ciré vos meubles ! Au moins avaient-ils été dépoussiérés. Docteur STORM. - Avec minutie. BERNADETTE. - Par moi-même ? Docteur STORM. - Sauf la table. C'est moi qui l'ai faite. (Bernadette s'effondre sur les genoux du médecin). N'allez pas supposer que ce sont là des conditions nécessaires pour que je vous garde. BERNADETTE (se relevant subitement). - La table ! Docteur STORM. - Quoi donc, la table ? BERNADETTE. - Elle était pleine de papiers. Docteur STORM. - Vous avez été dispensés de les trier. Je vous ai juste ordonné de ranger les deux piles dans l'armoire. BERNADETTE. - Rien que ça ! Est-ce là tout, ou faut-il encore que je devine ? Docteur STORM. - Juste une petite bricole, par laquelle nous avons commencé. BERNADETTE. - Quelle bricole ? Docteur STORM. - Devinez. BERNADETTE (en parcourant la pièce). - Au moins, vous auriez pu me complimenter. Est-ce que je n'ai pas bien fait mon travail ? Docteur STORM. - Le mérite revient déjà à mes talents d'hypnotiseur. BERNADETTE. - Des talents ! Bien-sûr ! Pour pouvoir exploiter les gens ! Pour avoir quelqu'un qui vienne cirer vos pompes. Docteur STORM. - Gagné ! BERNADETTE (s'arrêtant). - Ah oui... C'était donc ce qu'il me restait à trouver. Et vous appelez-ça une bricole ! Docteur STORM. - Mais si vous continuez à râler, je vous hypnotise de force, et vous mets endormie, dehors. BERNADETTE. - Alors là, non merci. Pour le robot à tout faire, trouvez quelqu'un d'autre. Moi, je préfère sortir les yeux ouverts. (Bernadette se dirige vers la porte. Au passage, elle se cogne contre le bureau, mais ne réagit pas). Adieu ! La porte se referme en claquant. Docteur STORM (seul). - Oui... Adieu. C'est cela... Me voilà enfin débarrassé... Ah... Mais j'oubliais... Mon patient qui m'attend... (Le Docteur Storm se dirige vers la porte, ouvre et appelle) - Monsieur ! C'est votre tour ! Scène 5 : Le médecin regagne son fauteuil. Il a le dos tourné à la porte. Entre un homme : MARIUS. Il tient un attaché-case.MARIUS. - Ce n'est pas trop tôt ! Voilà une heure que j'attends ! Et moi qui suis dans les affaires, je ne peux pas me permettre de retard. Un rendez-vous manqué, c'est peut-être un ou deux millions qui s'envolent en quelques secondes. Docteur STORM. - Fermez la porte s'il vous plaît. (Il se lève et tend la main en direction de Marius). Enchanté. Je suis le docteur Richard Storm... Spécialisé dans la science de l'hypnose. MARIUS. - Et moi, je suis Marius... Comme je vous ai dit, je suis dans le business, et j'ai 35 ans. Docteur STORM. - Que puis-je donc pour vous, Marius ? MARIUS. - Moi-même, je ne le sais trop. D'abord, il y a que, depuis que ma femme m'a quitté pour un autre, je déprime, et ça ne s'arrête pas. Docteur STORM. - Si je comprends bien, vous avez besoin d'air pur. MARIUS. - C'est cela, docteur. Docteur STORM. - Alors, allongez-vous sur ce divan. MARIUS (qui s'allonge). - Ça fait drôle de devoir se coucher durant le jour. Docteur STORM. - Imaginez un paysage lointain... les îles des Bahamas, par exemple. (Marius reste les yeux grands ouverts à rêver). Le flux et le reflux des vagues océaniques. (Il imite le bruit des vagues). Pschi... Pschi... Pschi... Vous, vous êtes allongé sur la plage... Vous sentez sous vous... l'extrême douceur du sable fin. Vous êtes complètement détendu. Un vent frais caresse votre peau. Vos yeux scrutent fixement le bleu clair et limpide des vagues océaniques, mais vous êtes un peu ébloui par le soleil. Malgré cela, vos yeux restent fixes, et vous remarquez la douce approche d'une pirogue... Dessus, plusieurs belles créatures au teint hâlé, à la chevelure brune ondoyante, et parée chacune d'un collier de fleurs dont les éclats vifs et chatoyants des pétales papillonnants éclairent et honorent la beauté des formes de leurs poitrines nues. MARIUS (faisant un signe de la main). - Ah oui... Ça, c'est vraiment un très beau rêve. Docteur STORM. - Ce rêve... Vous le vivez... Il est là, à portée de votre regard, de votre main... Vous vous endormez progressivement, et plus vous vous endormez, plus votre rêve devient réalité... (Le médecin se déplace pour donner un élan à l'ampoule afin qu'elle se balance). Quand vous entendrez le nombre dix, vous dormirez entièrement. Et c'est seulement au chiffre zéro, que vous vous réveillerez en ayant tout oublié. D'accord ? MARIUS. - Bien bien. Docteur STORM. - Vous comptez les vagues qui viennent s'écraser sur le rivage. Pschi. Une. Pschi. Deux. pschi. Trois. Pschi. Neuf. Pschi. Dix. Maintenant vous dormez entièrement. (Le médecin s'en va en en marchant à reculons). Continuez de rêver. Continuez... Continuez. (Il attrape son téléphone, compose un numéro, et s'assoit sur une chaise.) - Allô ? L' Agence de voyages Tour du Monde... (Il raccroche) Ah la la. Que tout ceci est compliqué... (Il s'avance vers le public). Voyez donc comme il est beaucoup plus facile de voyager dans sa tête. Pas de problèmes de trajet, de réservation. Un billet gratuit ou presque... Aucun souci de bagages à porter. On ne souffre pas du décalage horaire, ni des invasions touristiques, ni encore des piqûres de guêpes ou de moustiques. (Il se retourne vers son patient et frappe dans ses mains.) Il est fini de rêver... Fini... Fini. Maintenant, vous devez vous lever. Oui, vous lever (Marius se lève). Maintenant, il vous faut payer votre voyage. Allez donc prendre votre argent. (Marius va vers son attaché-case, qu'il pose sur ses genoux et l'ouvre, tandis que le Docteur Storm lui tend une main.) Allez, payez. (Marius met un billet de banque dans les mains du docteur qui ne bouge pas). Payez (Marius lui donne un second billet). Payez (...Puis un troisième, etc.). Payez. Payez. Payez. C'est incroyable comme il faut se répéter. Payez. Payez. Payez. MARIUS (qui se réveille et crie). - Ah ! Docteur STORM (crie à son tour). - Ah ! MARIUS. - Mais c'est mon argent ! Docteur STORM. - Justement, je me posais la question. MARIUS. - Vous vouliez donc me voler pendant que je rêvais. Docteur STORM. - Je rêvais aussi. MARIUS (reprenant son argent). - Dorénavant, vous rêverez sans moi. Docteur STORM. - Ne vous fâchez pas. Nous pouvons être associés. MARIUS. - Non docteur. Je préfère l'honnêteté. Docteur STORM (Il rit). - Ah Ah... Vous êtes honnête de force, parce que vous transigez avec ceux qui ont le même rêve que vous. Le rêve de pouvoir. Hélas, il n'y a de la place pour tout le monde. Mais les premiers dévorés sont les plus honnêtes. MARIUS. - Vous ne connaissez rien au monde des affaires. Docteur STORM. - Mais je connais le monde des rêves. Jugez plutôt ce que vous a apporté l'expérience. Voyez comment l'hypnose peut tout donner, tout transformer... Il est un moyen pour obtenir l'argent, l'amour, le bonheur... Les gens hypnotisés deviennent dociles et obéissants. Vous pouvez faire d'eux des esclaves ou des tueurs. Et pour quel risque ? Aucun. Les lois nous protègent. MARIUS (hésitant). - J'ai besoin de réfléchir un petit peu. Docteur STORM. - Moi, je n'ai besoin que d'un bras droit. (Il lui prend le bras droit et l'entraîne). Pensez-donc à tous ceux que nous pourrions endormir : les journalistes, les vedettes, les enseignants, les hommes politiques, les militaires... MARIUS. - En effet. Mais... nous sommes quand même dans un pays démocratique. Docteur STORM. - Pour des élections, aucun problème. D'après les statistiques seulement trois et demi pour cent des individus ne sont pas suggestibles. C'est donc la majorité largement assurée... et les réfractaires seront si peu nombreux qu'ils ne pourront jamais se plaindre ou se révolter. D'autre part... MARIUS (L'interrompant). - Ça me paraît un peu trop ambitieux... Docteur STORM. - Allons donc. Pour un homme d'affaires l'ambition est grande. Mais elle reste modeste pour un hypnotiseur. Voyez le docteur Freud... MARIUS. - Parce que vous croyez que... Docteur STORM. - Bien-sûr, et avec lui, tant d'autres... MARIUS. - Et, en ce qui concerne l'amour ? Docteur STORM. - Ah... L'amour se gère en politique comme le reste, n'est-ce pas ? MARIUS. - Ne peut-il être aussi affaire personnelle ? Docteur STORM. - Vous voulez me dire que vous avez été séduit ? MARIUS. - Oui. Aujourd'hui même. Par une jeune femme. Docteur STORM. - Où donc cette rencontre a t-elle eu lieu ? MARIUS. - Disons que c'est très près d'ici... Docteur STORM. - Dans ma rue ? MARIUS. - Beaucoup plus près encore. La dame en question est une de vos patientes. Docteur STORM. - Vous voulez parler de la jeune fille que j'ai reçue juste avant, et qui est... (Il la décrit avec les mains et en grimaçant). MARIUS. - Oh non, il ne s'agit pas d'elle. Docteur STORM (avec un soupir de soulagement). - Ah, vous me rassurez... MARIUS. - Celle là, ce n'est pas du tout mon genre. Docteur STORM (sur le ton de la confidence). - C'est un genre pour personne. Ils rient tous les deux. MARIUS. - Non. Je parlais de la femme qui était dans votre cabinet avant que j'arrive. Docteur STORM. - Je vois. Vous voulez parler de madame Jacqueline Lombard. Et vous aimeriez que cette femme s'intéresse à vous ? MARIUS. - Est-ce possible ? Docteur STORM. - Avec l'hypnose, tout est possible. MARIUS. - Oui, seulement, qu'elle s'intéresse à moi, ce n'est pas suffisant. Il faudrait qu'elle se sente amoureuse de moi. Docteur STORM. - Un peu amoureuse, follement amoureuse, amoureuse timide, amoureuse jalouse, amoureuse dévergondée... Je peux tout vous faire. MARIUS. - Magnifique ! Mais, les élans du coeur... paraîtront-ils naturels ? Docteur STORM. - Si naturels, que vous finirez par y croire vous-même. MARIUS. - Docteur. Si vous pouviez hypnotiser pour moi cette Madame Lombard, je serais un homme comblé. (Il réfléchit). Toutefois. Restera t-elle tout le temps à dormir ? Docteur STORM. - Une Belle au Bois dormant. MARIUS. - Et si jamais elle se réveille ? Docteur STORM. - A éviter, si vous ne voulez pas vous retrouver dans une situation désagréable. Simplement, vous devez songer tout le temps à ne jamais prononcer le chiffre zéro devant elle. MARIUS. - Dès maintenant, je m'exerce à ne plus prononcer un seul zéro. Docteur STORM. - Bonne idée. Seulement, afin que la séance réussisse... il manque... MARIUS. - Ah... Ce n'est donc pas réalisable ? Docteur STORM. - Ce n'était pas ce que je voulais dire. Ce qu'il me faudrait, ce sont quelques petits billets, qui seraient très utiles à l'opération de suggestion. A l'odeur de l'argent, elle saura vous reconnaître. (Il ricane). MARIUS (ricanant également). - Bien-sûr. Combien ? Docteur STORM. - 10, 20 billets. Environ. MARIUS (lui tend une liasse). - Tenez docteur. Dites-moi quand je dois repasser. Docteur STORM. - Demain, dans l'après-midi. Ça vous convient ? MARIUS. - Parfait ! (Il va vers le Docteur Storm pour lui serrer la main). Au-revoir docteur. (Il s'en va vers la sortie, mais au moment où il ouvre la porte...) Ah ! J'allais oublier... (Il prend son attaché-case et s'en va). Scène 6.Docteur STORM. - Il me faut préparer les affaires du voyage. Demain, je n'en aurai trop le temps. (Il sort une petite valise de l'armoire, l'ouvre sur son bureau, et va à sa bibliothèque pour chercher quelques livres. Il lit les titres...) L'Hypnose en Inde, l'Hypnose chez les Papous, Comment hypnotiser son patron en 20 leçons, Dictionnaire de l'Hypnose, l'Hypnose sans s'endormir... Tome IV... Scène 7 : La porte s'ouvre brusquement. Apparaît Bernadette.Docteur STORM. - Quoi ? Vous ? Encore ici ? BERNADETTE. - Vous ne rêvez pas. J'ai réfléchi entre temps, et je me suis dit : "Bernadette, tu en sais long sur le Docteur Storm. Pourquoi ne pas le dénoncer ? " Alors, j'ai décidé que j'allais alerter l'ordre des médecins. Docteur STORM. - Ça se retournerait contre vous. BERNADETTE. - Vous le croyez ? Mais on pourrait encore interroger vos patients, par exemple Madame Lombard... que vous avez dénudée. Docteur STORM(s'assoit dans son fauteuil). - Bon... vous voulez combien ? BERNADETTE. - Rien du tout. J'allais vous proposer un arrangement. Acceptez-vous ? Docteur STORM. - Lequel ? BERNADETTE. - Dites-moi d'abord si c'est possible, par l'hypnose, à un homme, de rendre une femme belle à ses yeux... Docteur STORM. - Avec l'hypnose, tout est possible... Mais en ce qui concerne le sujet de la beauté, la réalité... disons, impose parfois certaines limites au pouvoir de la suggestion. BERNADETTE (s'assoit sur une chaise et croise les jambes). - Je viens de rencontrer un de vos patients qui s'en allait. Pas mal... Docteur STORM. - Marius ? Avec lui, pas possible. BERNADETTE. - Il n'est pas libre ? Docteur STORM (hésitant). - D'une certaine façon. BERNADETTE. - Il voyage ? Docteur STORM. - Voilà... Il voyage. BERNADETTE. - J'adore les voyageurs. Belle situation ? Docteur STORM. - C'est un homme d'affaires. BERNADETTE. - Le luxe. Et quand nous revient l'oiseau migrateur ? Docteur STORM. - Demain. BERNADETTE. - Demain ? Alors, il n'est pas parti bien loin... C'est pour vous, Docteur Storm, une excellente occasion de tester les limites de l'hypnose. Docteur STORM. - Evidemment. Je n'avais pas vu les choses sous cet angle là. BERNADETTE.(se lève) - Bon. Puisque c'est entendu, je vous laisse tranquille. Jusqu'à demain. (Avant de refermer la porte). Au-revoir Docteur. Docteur STORM (seul. Il sort un mouchoir de sa poche et s'éponge le front).-Finalement, j'ai bien fait de prendre des vacances. ****** ACTE II
Même décor. Scène 1 : Quand le rideau se lève, Madame Lombard est allongée sur le divan. Le Docteur Storm est près d'elle.Docteur STORM. - Coup de foudre! Vous tremblez! Vous tressaillez! Vous palpitez! Votre coeur martèle votre poitrine. C'est décidé. Marius sera l'homme de votre vie... Vous l'aimerez toujours et pour le meilleur et le pire. Madame LOMBARD. - Oui... Marius! Docteur STORM. - Marius a toutes les qualités d'un vrai homme. Il est beau, fort, intelligent, riche... Marius est Marius, et c'est seulement Marius qui compte pour vous. Madame LOMBARD. - Marius... Oh... Docteur STORM. - Vous lui susurrez des mots doux : "Marius, vous êtes un homme merveilleux" ; "Marius, vous êtes mon héros" ; "Marius, vous êtes l'élu de mon coeur" . On sonne à la porte. Docteur STORM. - C'est sans doute Marius. (Il regarde sa montre). Il arrive de bonne heure. Le Docteur Storm part ouvrir . Scène 2 : On entend des bruits dans le couloir. Entre sans grande discrétion, un homme : MONSIEUR Vincent LOMBARD..
Monsieur LOMBARD. - Je cherche ma femme. (Il la voit allongée). Ah, la voilà... Chienne ! Couchée chez un autre ! Docteur STORM. - Je vous en prie, Monsieur Lombard, calmez vous... S'il y avait eu adultère, votre femme ne dormirez pas... habillée... de ses vêtements de jour... chez un médecin... aujourd'hui. Monsieur LOMBARD. - Alors, elle est malade. Docteur STORM. - Elle a besoin de calme, et je la comprends. La vie lui est si difficile, la pauvre femme... Madame LOMBARD (toujours endormie). - Marius, vous êtes merveilleux. Marius, vous êtes mon héros. Monsieur LOMBARD (s'approchant d'elle). - Oh, ma tendre et douce tourterelle... Mon adorée de tous les jours. (Puis tout à coup). Mais... Marius... Ce n'est pas mon prénom. Moi, je m'appelle Vincent... Mais alors, c'est qui l'autre qui s'appelle Marius ? Docteur STORM (en aparté). - Aïe. Ça se gâte. Madame LOMBARD. - Marius, vous êtes l'élu de mon coeur. Monsieur LOMBARD. - Dites-moi docteur, ma femme, elle rêve là ? Docteur STORM. - C'est sans doute un cauchemar. Monsieur LOMBARD (se précipite vers le Docteur Storm, et lui tient le col de sa chemise) - Alors, c'est vous Marius, hein ! c'est vous ! Docteur STORM (un peu tremblant). - Non, pas du tout. Mon prénom à moi c'est Richard... Je peux vous montrer mes papiers si vous voulez. (Monsieur Lombard le relâche). D'ailleurs nous n'avons pas eu le temps de nous présenter. (Le Docteur Storm prend la main de Monsieur Lombard). Docteur Storm, enchanté... Monsieur LOMBARD. - Et moi, monsieur Vincent Lombard, et je n'ai pas du tout envie de plaisanter. Madame LOMBARD. - Marius, vous comptez tant pour moi ! Monsieur LOMBARD (va vers sa femme et la secoue). - C'est qui se Marius ! Alors, tu vas me dire qui c'est ? Tu vas me le dire ? Docteur STORM. - Ce n'est pas la peine d'insister. Elle est en pleine phase de sommeil paradoxal. (Pendant ce temps, le Docteur Storm prend une chaise qu'il soulève et s'avance lentement vers Monsieur Lombard qui lui tourne le dos.) Monsieur LOMBARD. - Elle n'a même pas ouvert les yeux. Ma parole, elle a été piquée par la mouche tsé-tsé. Paraît que quand ça arrive... les gens délirent dans leur sommeil. Le Docteur Storm donne un grand coup de chaise sur le crâne de Monsieur Lombard qui s'effondre. Docteur STORM. - Et ça, c'était l'éléphant tsé-tsé. Là ! Au moins, il apprendra à dormir comme les autres. C'est que moi je ne supporte pas la violence agressive. Je n'accepte que la violence douce. Madame LOMBARD. - Marius, vous êtes l'élu de mon coeur. Docteur STORM. - Bon, voyons d'abord avec elle. (Il va vers Madame Lombard). Continuez à dormir, mais en silence. Continuez à rêver à Marius, que vous avez rencontré le 5 Mars 1988 au zoo de Vincennes. Madame LOMBARD. - J'ai rencontré Marius le 5 Mars 1988 au zoo de Vincennes. Docteur STORM. - Bien... Bien... (Il s'écarte de Madame Lombard) Je crois que je préfère fuir. (Il va vers la sortie). Les gens rêvent tous d'amour, de passions romantiques, ils veulent croire aux poètes, et voilà dans quel genre de pétrain ça nous mène ! (Il s'avance vers le public) Mais les poètes nous ont inventé le châtiment divin, l'homme esclave, l'enfer, ses flammes et ses démons cornus. Ce sont eux les responsables de notre aliénation ! Qu'est-ce donc qu'un poète ? (vite dit) poète-poète poète-poète (confondu avec la sonorité pouet pouet). Voyez donc... un simple coup de klaxon... destiné à rassembler, à émeuter. (Il quitte la scène) Pouet pouet ! Pouet pouet ! La sonorité répétée réveille Monsieur Lombard. Monsieur LOMBARD. - Aïaïaïe. Quelle douleur terrible... Je ne sens plus ma tête... (repris sur un mode interrogatif). Je ne sens plus ma tête ? (Il se tâte nerveusement le visage)... Que s'est-il passé ? Que m'est-il arrivé ? (Il se lève et se tâte chaque partie du corps). Où je suis ? Quel jour sommes-nous ? Mon corps est-il toujours là ? Suis-je ressuscité ? Voix du Docteur STORM . - Non ! Jamais tu ne quitteras l'Enfer ! Monsieur LOMBARD. - Quoi ! Voix du Docteur STORM. - Tu travailleras sans relâche, et tu n'auras rien ! Monsieur LOMBARD. - Moi ? Mais ? Mais non ! Voix du Docteur STORM. - La fourche de Satan te poussera dans les eaux bouillantes du chaudron... Et là tu fondras, tu te disloqueras, tu te désagrégeras... dans la douleur et le remords, tu disparaîtras entièrement. Monsieur LOMBARD. - Ah, je ne peux déjà plus supporter... (Il s'effondre). Docteur STORM (revient sur scène avec un parasol et un tapis de plage). - Voilà, ce qu'ils nous disent les poètes. Si on les écoutait, on ne partirait jamais en vacances. (Il pose ses affaires / Il se retourne et voit Monsieur Lombard sur le sol. Il a un sursaut de peur) Que c'est curieux. J'étais persuadé que le mari assommé était à cet endroit. (Il désigne l'endroit). Probablement une déformation professionnelle due au stress du travail. (Il va vers Madame Lombard et se penche au-dessus d'elle). Madame Lombard... Madame LOMBARD. - Docteur ? Docteur STORM.- A trois vous vous éveillerez en ayant le sentiment d'avoir fait un très beau rêve. Etes-vous prête ? Madame LOMBARD. - Je suis prête. Docteur STORM. - C'est parti. Un deux trois. Madame Lombard se réveille progressivement. Madame LOMBARD. - Oh la la... Mes yeux s'ouvrent sur un monde triste et gris... Cette triste réalité avec ses visages impersonnels... Le gris des fumées polluantes de la modernité. Docteur STORM.- A quoi bon cette monotonie. Vous avez devant vous ...l'avenir. Madame LOMBARD (se lève). - C'est que j'avais fait un rêve merveilleux. Merveilleux ! Je ne me souviens plus très bien. Une histoire compliquée... Ça y est, j'y suis. A la fin mon mari se faisait dévorer par les crocodiles. (Elle remarque son mari et crie). Ah Ciel ! (Elle va vers le Docteur Storm, s'agrippe à lui et montre son époux du doigt.) C'est lui ! Docteur STORM. - Qui ça, lui ? Madame LOMBARD. - Mon mari. C'est mon mari. Docteur STORM (se dégageant). - Mais je sais bien que c'est votre mari. Il ne bouge pas, mais hélas, il n'est pas mort. Madame LOMBARD. - Je ne comprends pas. Que fait-il donc ici ? Docteur STORM. - Peut-être que le crocodile n'en a pas voulu. Madame LOMBARD. - Etait-il venu pour moi ? Docteur STORM. - Pour vous surveiller. Madame LOMBARD. - Mais alors, pourquoi l'avez-vous hypnotisé ? Docteur STORM. - Cette fois, il n'était pas question d'hypnose, Madame Lombard. Voyez-vous, il s'agit d'un remède un peu brutal... Un traitement de choc. Madame LOMBARD. - Vous n'avez tout de même pas utilisé l'électrochoc ? Docteur STORM. - Je me suis servi du choc, sans l'électro. Je l'ai assommé. Madame LOMBARD. - Vous l'avez assommé ? C'est donc qu'il vous menaçait. Docteur STORM.- Durant votre sommeil, vous avez prononcé des mots d'amour... et ils n'étaient pas adressés à votre mari. Madame LOMBARD. - Et il a tout entendu ? Docteur STORM. - Tout. Madame LOMBARD. - Mon dieu, mais c'est terrible... Et lorsqu'il reviendra à lui, il s'en souviendra, n'est-ce pas ? Docteur STORM. - Il y a des risques. Madame LOMBARD. - Que faire, alors ? Vous ne pouvez l'hypnotiser pour qu'il oublie? Docteur STORM. - On ne peut pas hypnotiser un assommé. Madame LOMBARD. - Et après, lorsqu'il se réveillera. Docteur STORM. - Lorsqu'il se réveillera, il n'aura sans doute aucune envie que je l'endorme. Madame LOMBARD. - Trouvez un prétexte quelconque. Docteur STORM. - Il y a mieux. Nous allons l'installer sur le divan, et lorsqu'il reprendra connaissance, je le persuaderai qu'il a rêvé. Madame LOMBARD. - Vous pensez que ça peut marcher ? Docteur STORM.- Bien-sûr. Et même s'il doute, il n'osera pas vous menacer. (Le Docteur Storm va vers Monsieur Lombard endormi.). Allez ! Venez m'aider à le porter. Je le soulève par les épaules, et vous, vous lui prenez les pieds. Le Docteur Storm et Madame Lombard portent Monsieur Lombard sur le divan. Madame LOMBARD. - Il a l'habitude de dormir sur le côté. Docteur STORM (pousse Monsieur Lombard, jusqu'à ce qu'il soit de côté). - Ne changeons rien à ses habitudes. Madame LOMBARD. - Je dois maintenant partir, avant qu'il se réveille. Docteur STORM.- Mieux vaut, c'est certain. Madame LOMBARD. - J'ai des courses à faire. Docteur STORM. - Parfait ! Faites donc vos courses, et revenez après ça... Madame LOMBARD. - C'est entendu, docteur. A tout à l'heure. Docteur STORM. - A plus tard. Madame Lombard s'en va. Docteur STORM (seul). - C'est que le problème n'est pas résolu avec ce Marius qui doit venir. Je dois l'avertir. (Il réfléchit). Et encore... supposons qu'il soit averti. S'il devient l'amant de Madame Lombard, bien-sûr Monsieur Lombard l'apprendra un jour. Monsieur Lombard comprendra donc qu'il n'a pas rêvé, et en comprenant qu'il n'a pas rêvé... Il s'apercevra alors que je ne l'ai pas hypnotisé, et s'il comprend que je ne l'ai pas hypnotisé... (Il se frappe le front). Oh... je n'ose pas y penser ! Scène 3 : Entre Bernadette.Docteur STORM (qui la remarque). - Oh non. Pas possible. Encore ce cauchemar vivant. BERNADETTE. - Cauchemar vous-même, docteur ès-briseur de rêves ! (Elle remarque Monsieur Lombard endormi) Oh, pardon ! Je ne savais pas que je dérangeais. Docteur STORM. - Que me voulez-vous encore ! BERNADETTE (S'approchant de Monsieur Lombard). - Et si j'essayais de le réveiller ? Docteur STORM. - Ah non... Surtout pas. Il réagirait mal. BERNADETTE. - Ce n'était pas celui que j'avais choisi. Docteur STORM. - De quel choix parlez-vous ? BERNADETTE. - Je me doutais bien que vous alliez oublier. Je vous avais fait -disons-la commande d'un prince charmant. Docteur STORM. - Ah, vous m'agacez. Je suis occupé. BERNADETTE. - Des ennuis ? Docteur STORM. - Oui, comme tout le monde. BERNADETTE. - De quel genre ? Docteur STORM. - Mes faiblesses du coeur, bien-sûr. BERNADETTE. - Vous êtes cardiaque ? Docteur STORM. - Non, je suis seulement un peu trop généreux par moment. Alors, il me faut me retrouver avec des vautours comme vous, qui me tournent autour, espérant de moi, un fléchissement qui me serait fatal. BERNADETTE. - Ah, je vois. Vous arrangez secrètement quelques mariages par le sommeil. Docteur STORM. - C'est ça. Mais ça ne marche pas toujours. Surtout lorsque débarque à l'improviste le mari jaloux. BERNADETTE (désignant Monsieur Lombard). - Est-ce l'homme en question ? Docteur STORM. - Je ne peux rien vous cacher. BERNADETTE. - Il dort. Il est inoffensif. Docteur STORM. - Oui, mais il va se réveiller, et l'amant qui doit débarquer sous peu. BERNADETTE. - Aïe. Mais il vous suffit d'hypnotiser l'un des deux pour arranger l'affaire. Docteur STORM. - Hélas le mari me paraît être récalcitrant à l'hypnose, et je ne peux ôter de sa mémoire ce qu'il a entendu de sa femme. BERNADETTE. - Alors l'amant. De qui s'agit-il ? Docteur STORM. - Un homme d'affaires. Un dénommé Marius. BERNADETTE. - Mais n'est-ce pas l'amant que vous m'aviez réservé ? Docteur STORM. - Je ne m'étais engagé à rien du tout envers vous. BERNADETTE. - Mais c'est l'occasion d'arranger votre affaire. En offrant une nouvelle maîtresse à l'amant, le mari jaloux n'aura plus aucune raison d'être jaloux. Docteur STORM. - Et vous seriez donc cette nouvelle maîtresse ? BERNADETTE. - Puisque je suis ici présente. Docteur STORM. - Diable. Ce n'est pas un cadeau que je lui fais. BERNADETTE. - Vous faîtes un cadeau à tout le monde en arrangeant la situation partout. Docteur STORM.- Peut-être que votre idée, après tout... (Le Docteur Storm est interrompu par un bruit de sonnette). Ah... C'est sûrement lui. BERNADETTE. - Qui donc ? Docteur STORM. - L'amant. Il faut que vous quittiez les lieux. (Il pousse Bernadette vers la porte). BERNADETTE (va vers le bureau, prend une feuille et un crayon). - Attendez ! Vous oubliez mon adresse. Je vous la note (Elle écrit, puis s'en va). Adieu, docteur ! Docteur STORM. - Vous acceptez de disparaître ? La bonne nouvelle ! Scène 4 : Entre Marius.MARIUS. - Ah! Formidable journée ! Comme vous le savez, docteur, je viens à la rencontre de notre délicieuse Madame... Docteur STORM (pose un doigt sur sa bouche). - Chut ! (Il montre ensuite Monsieur Lombard endormi). MARIUS. - C'est qui ? Docteur STORM (en chuchotant). - C'est le mari. MARIUS. - Ah ! Alors, il vaut mieux que je sorte. Docteur STORM. - Oui, heu non... restez plutôt. Vous n'avez donc pas une séance d'hypnose ? MARIUS. - Je n'en ai pas besoin. Je suis en pleine forme. Docteur STORM (l'observant). - Je remarque pourtant, sur votre visage, de la grisaille. MARIUS. - De la grisaille, vous dites ? Docteur STORM. - Oui, vos traits sont affaissés. Les muscles de votre faciès demeurent crispés. MARIUS. - Je vous assure pourtant, ne rien voir qui me perturbe. Docteur STORM. - Précisément. Là est le danger. Car un mal qui se sait est moins dangereux qu'un mal qui s'ignore. Je vous conseille de ne pas être imprudent. MARIUS. - C'est un très bon conseil, mais... Docteur STORM. - Mais il n'y a pas de «mais» qui tienne, quand il est question de santé. Et la santé psychique, croyez-moi, elle passe avant le reste. MARIUS. - Bon. Si vous le dites. Mais la place est prise. Docteur STORM. - Pas toute la place. Vous aurez un peu à vous serrer. MARIUS. - Comment ? Je vais devoir m'allonger à côté du... du mari ? J'espère au moins qu'il n'est pas au courant. Docteur STORM. - Il l'est, et il sait même comment vous vous appelez. MARIUS. - Je crois que je préfère prendre le fauteuil. Docteur STORM. - Ce n'est pas possible le fauteuil. Vous devez être allongé. MARIUS. - Oui, mais si l'autre se réveille ? Docteur STORM. - Sans importance. Je le rendormirai. MARIUS. - Il peut vouloir résister à l'hypnose. Docteur STORM. - Qu'à cela ne tienne. J'ai d'autres remèdes qui garantissent un sommeil rapide et efficace. MARIUS. - Bon. Si vous me l'assurez. Marius s'allonge sur le divan. Mais à peine est-il installé, que le mari retombe sur le dos, laissant pendre mollement un bras sur Marius. MARIUS. - Ah ! Qu'est-ce que je fais ? Docteur STORM. - Ne vous affolez pas. Ce n'est pas un cadavre. MARIUS. - S'il y avait à choisir. J'avoue que le cadavre à la place du dormeur me rendrait un peu moins nerveux. Docteur STORM. - Mais non. C'est très bien ainsi. Respirez bien fort. Détendez-vous. MARIUS. - C'est difficile. Docteur STORM. - Détendez votre tête, votre cou, vos épaules, vos lèvres, vos narines, vos paupières. Respirez encore... Lentement. Inspirez. Expirez. Décrispez-vous. Laissez flotter votre corps. Dites maintenant : "Je me sens détendu" MARIUS et Monsieur LOMBARD (ensemble). - Je me sens détendu. Avec étonnement et inquiétude, le Docteur Storm effectue un rapide tour de scène. Docteur STORM. - Dites : "Je me sens tout à fait à mon aise". MARIUS et Monsieur LOMBARD (ensemble). - Je me sens tout à fait à mon aise. Le Docteur Storm va vers le devant de la scène, montrant de ses doigts, le chiffre 2. Docteur STORM (tendu). - J'ai cru entendre deux voix... (Nerveusement, il prend une chaise pour aller frapper la tête de Monsieur Lombard, se ravise au dernier instant, vérifie que celui dort encore, repose la chaise). Bon. Qu'importe. (Tendu et nerveux). C'est le printemps. L'air est calme. Les pigeons roucoulent. Les passants passent... et la tour Eiffel vous apparaît. Vous voulez l'approcher, grimper ses marches, et vous montez, montez, montez vers le ciel, encore monter, monter plus haut, monter toujours... Le rideau descend. ***** ACTE III
La maison de Sylvie et de Bernadette. Intérieur d'un salon sobre et de bon goût. Des canapés et tables basses. Deux poufs. Des vases fleuris. Des magazines sont posés sur les tables. Nous sommes le soir. Scène 1 : Lorsque le rideau se lève, Bernadette et Sylvie sont assises sur le canapé et démêlent de la laine.SYLVIE. - Où est donc Waterloo ? BERNADETTE. - Sans doute dehors, maintenant, puisqu'il a mangé. SYLVIE. - Si on avait pensé le mettre dehors plus tôt. BERNADETTE. - Il n'avait pas encore mangé. SYLVIE. - On lui a donné à manger après sa bêtise. On le récompense au lieu de le punir. BERNADETTE. - On fait la même chose avec les gens. SYLVIE. - Moi, je m'étais bien dit qu'un chat noir, ça nous porterait malheur. BERNADETTE. - N'exagère pas. Pour quelques malheureuses pelotes de laine. SYLVIE. - Quelques malheureuses pelotes de laine ! Ne trouves-tu pas inouï, que ce qu'un chat peut faire en quelques minutes, il faut aux humains des heures pour le défaire? BERNADETTE. - Regarde. On avance. SYLVIE. - De plus, durant ces quelques minutes, Waterloo s'est amusé. Et nous. Nous nous tuons à démêler pendant des heures. BERNADETTE. - Il se passe la même chose entre les gens. Au fait, il faut que je te raconte... SYLVIE. - Quoi ? BERNADETTE. - J'ai de nouveau pensé à l'hypnotiseur. SYLVIE. - Arrête d'y penser, et laisse plutôt tomber. Bernadette, fâchée, laisse tomber la laine. SYLVIE. - Oh... pas la peine de te vexer. BERNADETTE (en reprenant la laine). - Si au moins, tu m'écoutais. SYLVIE. - Je t'écoute. BERNADETTE. - Un hypnotiseur, il peut tout faire en se moquant des lois. Tu trouves ça normal, toi ? SYLVIE. - Quoi ? BERNADETTE. - Qu'on leur laisse tant de liberté, à ces gens là ? SYLVIE. - Oui, je trouve ça normal puisque tu viens de me dire que les hypnotiseurs se moquaient des lois. BERNADETTE. - Mais est-ce que lui, ne fait pas son bonheur en profitant du malheur des autres ? SYLVIE. - Un hypnotiseur, ça sert à soigner. BERNADETTE. - Oui. Mais quand ça sert à autre chose qu'à soigner ? SYLVIE. - Va prouver que c'est un charlatan. BERNADETTE. - Justement. Ce que je voulais t'expliquer, c'est qu'on ne peut pas prouver. SYLVIE. - Tu ne crois pas plutôt qu'il t'aurait tapée dans l'oeil... BERNADETTE. - Mais qu'est-ce que tu vas chercher ? D'abord, s'il m'avait tapé dans l'oeil, comme tu dis, ça ne changerait rien à la vérité. SYLVIE. - On n'en trouvera jamais le bout. BERNADETTE. - De quoi ? SYLVIE. - Je parle de cette foutue laine à démêler. BERNADETTE. - Tu t'y prends n'importe comment. SYLVIE (en colère). - Tu oses en plus me faire des reproches ! Alors que tu as eu la bêtise de laisser le chat avec la laine. BERNADETTE.- Ah ça non... moi, j'ai peut-être laissé le chat. Mais c'est toi qui a laissée la laine. (Bruit de sonnerie à la porte). On a sonné. SYLVIE. - Va ouvrir, plutôt que de rester plantée là. BERNADETTE (pose la laine dans les bras de sa soeur). T'as raison. Je commençais à avoir des fourmis dans les jambes. (Elle sort en se secouant les jambes). SYLVIE (seule). - Ah la la... Bernadette est amoureuse, et n'ose même pas se l'avouer. Alors, bien-sûr, ça complique encore plus. Scène 2 : Bernadette revient, accompagnée de Marius.BERNADETTE.- Entrez Marius. Installez-vous. SYLVIE (en poussant discrètement du pied la laine sous le canapé). - C'est une connaissance à toi ? MARIUS. - Ma Bernadette, j'ai si peu résisté à l'envie de vous revoir, que j'ai demandé votre adresse au Docteur Storm. Il a accepté. C'est une chance. SYLVIE (en aparté). - Je rêve ! (au deux). Vous vous êtes rencontrés comment ? BERNADETTE. - C'est une longue histoire. MARIUS. - La première fois que j'ai vu Bernadette, c'était au deuxième étage de la tour Eiffel, il y a quinze jours à peu près, c'est ça ? BERNADETTE (Un peu troublée). - Grosso modo. SYLVIE. - Tu ne m'avais pas dit que tu étais allée draguer à la tour Eiffel. BERNADETTE. - J'avais oublié, et puis d'abord, je ne suis pas obligée de tout raconter à ma grande soeur. Bernadette s'assoit sur le canapé. Marius s'assoit entre les deux soeurs, mais il est entièrement tourné vers Bernadette. MARIUS. - Ma douce et divine Bernadette. Jamais, je n'oublierai cet instant où vous vous êtes penchée sur la longue-vue. Vous étiez si charmante. Si désirable. BERNADETTE. - Quelle idée ! Heu... Je veux dire par là que je ne regrette nullement l'idée d'avoir... MARIUS. - Oui, ma sublime Bernadette, et quelle chance de vous avoir revue à nouveau chez le Docteur Storm. SYLVIE (en s'exclamant). Ça oui alors ! Quelle chance tu as eu. (En aparté). - Elle réagit comme un manche à balai, et pourtant il semble réellement séduit. BERNADETTE. - Le contexte du cabinet médical se prêtait peu aux longues unions, mais nous avions là pour les célébrer, les sermons d'un maire fort original. MARIUS. - Le Docteur m'a vanté vos talents de ménagère. Votre doigté à ranger. Votre dextérité à cirer les meubles. SYLVIE (se levant subitement et en aparté). - Ah ça y est. J'ai compris ! Il habite encore chez sa mère ! BERNADETTE (l'air boudeur / en aparté). - Ce mufle de toubib ! MARIUS. - Qu'avez-vous ? Ai-je dit une parole pour vous déplaire ? SYLVIE. (répond à la place de sa soeur). - Mais non. Mais non. BERNADETTE. - Il y a que... Marius, je ne tiens pas particulièrement à être une ménagère, et étant donné votre situation... SYLVIE (en aparté). - Sa situation ? MARIUS.- Mais oui, bien-sûr, Bernadette de mon coeur. Comme vous avez raison. Etant donné ma situation dans les affaires, nous pouvons nous permettre toutes les libertés. Probablement, vous aimeriez voyager. BERNADETTE. - Oh oui, les voyages, j'adore ça ! SYLVIE (en aparté). - Ça alors. C'est inouï. De mieux en mieux. C'est un homme d'affaires. (A Marius, en minaudant) Au fait, nous avons oublié les présentations ; je m'appelle Sylvie et je suis la soeur de Bernadette... MARIUS (distant). - Ah bon. Enchanté. SYLVIE (en aparté). - Ça alors ! Il ne m'a même pas regardée. MARIUS (à Bernadette). - C'est entendu. Je vous emmène en voyage. BERNADETTE. - Comment ? Heu, non. Pas si vite. D'abord, j'ai d'autres voeux. MARIUS. - Alors, dites-moi vos voeux. Je m'honore de les exaucer avant même de les entendre. BERNADETTE. - Ma joie serait aussi de pouvoir travailler. MARIUS. - Travailler ? Je ne comprends plus. BERNADETTE. - Mais mon cher Marius. Quand je parle travail, je parle bien entendu d'un emploi rémunéré, par exemple un poste dans une entreprise, où j'aurais des responsabilités. MARIUS. - Ah oui, je comprends. Mais bien-sûr, c'est aussi possible. Je pensais seulement que les voyages seraient plus agréables. SYLVIE. - Il a raison. Les voyages, c'est mieux. MARIUS. - Mais les voyages n'empêchent pas le début d'une carrière professionnelle, et pour ma Bernadette, je me sens la force de combiner tous les contraires... (Se rapprochant de Bernadette). Oh, ma perle rare ! SYLVIE (retenant un rire).- C'est en effet bien rare qu'une perle ressemble à un clou. (On entend le bruit de la sonnette). Encore ! BERNADETTE. - Encore ! Cette fois, ce n'est pas pour moi. SYLVIE. - Ni pour moi. Bon, j'y vais. Sylvie sort. Bernadette et Marius restent assis ensemble. MARIUS. - Nous voilà enfin seuls... Ah, j'attendais ce moment depuis siiiii longtemps (Marius enlace Bernadette avec empressement. Elle le repousse légèrement). BERNADETTE. - Je vous en prie... Soyez un peu raisonnable. MARIUS. - C'est que j'avais tellement envie de vous serrer dans mes bras. (Marius enlace Bernadette et l'embrasse.) Scène 3 : Entrent Sylvie et Monsieur Lombard.
SYLVIE. - Monsieur, j'ignore qui vous êtes, mais je me présente : je suis Sylvie, la soeur de Bernadette. Monsieur LOMBARD. - Oh, excusez-moi. Je suis Monsieur Lombard, chauffeur de taxi. SYLVIE. - Enchanté, Monsieur Lombard. (A Bernadette). Bernadette ; il paraît que ce Monsieur te connaît, et il a l'intention de te voir. (A Monsieur Lombard). Elle n'attendait personne, mais ne vous inquiétez pas ; elle peut faire un effort. BERNADETTE. - Vous, ici ? Monsieur LOMBARD (en soupirant). - Bernadette... Vous n'avez donc pas oublié... notre rencontre, chez le Docteur Storm. BERNADETTE (tente discrètement de le repousser vers la sortie). - Notre rendez-vous n'était pas prévu. Monsieur LOMBARD. - Comme je voulais vous revoir, j'ai discrètement pris vos coordonnées dans le cabinet du Docteur. Malheureusement il y avait l'adresse, mais pas le téléphone. BERNADETTE. - Malheureusement, comme vous dites. Monsieur LOMBARD. - Oui, malheureusement. Mais heureusement, vous êtes là. SYLVIE (s'écarte des autres). - Je ne me sens plus très bien. Monsieur LOMBARD. - Oui, je sais bien. Je ne suis pas très convenable. Je ne suis pas libre selon les lois. Seulement, voilà... Je dois vous faire une déclaration importante. BERNADETTE. - Etes-vous sûr que c'est important ? Monsieur LOMBARD. - Oui, c'est important et urgent. BERNADETTE. - Vous n'avez peut-être pas assez réfléchi. Monsieur LOMBARD. - Oh si... J'ai réfléchi, et après avoir réfléchi, je me suis aperçu que la réponse que je cherchais, je la connaissais depuis toujours. Bernadette, voilà, c'est décidé : je divorce. BERNADETTE. - Mais nous ne sommes pas mariés... Monsieur LOMBARD. - Vous m'avez compris. Je divorce de ma femme, par amour pour vous. MARIUS (se lève). - Comment donc, vous l'aimez vous aussi ? BERNADETTE. - Voyez donc que non, Marius. Il me parle de divorce à moi, et non à sa femme. Monsieur LOMBARD. - Je comprends, Bernadette, votre prudence, mais vous pouvez être sûre de ma sincérité, et vous verrez bien, à un moment, qu'il n'y en a qu'un qui peut vous rendre heureuse. MARIUS. - Monsieur. Je vous conseille plutôt de renoncer à votre divorce, et de laisser Bernadette. La place est prise. Monsieur LOMBARD. - Quoi, Monsieur ? MARIUS. - Je m'appelle Marius. Je suis dans les affaires. Enchanté. Monsieur LOMBARD (refuse de lui serrer la main). - Depuis que j'ai rencontré Bernadette, j'ai compris que nous étions faits pour vivre ensemble. BERNADETTE. - Pas de querelles, s'il vous plaît. Nous pouvons discuter calmement. SYLVIE. - Oui, à quoi sert-il de se quereller ? ...Pour si peu. MARIUS (à Bernadette). - Vous n'allez donc pas choisir cette espèce de Zorro en taxi ! BERNADETTE (subitement). - Ah non ! Je vous en prie. MARIUS - Quoi donc ? BERNADETTE. - Ne prononcez jamais le chiffre zorro !... MARIUS. - Justement. Je n'ai pas dit... BERNADETTE (l'interrompt). - Taisez-vous !... Parlons d'autre soze (se reprend) chose... d'autre chose. Monsieur LOMBARD. - Elle a raison. Parlons d'autre chose. (A Bernadette). Nous devons causer pour notre avenir. MARIUS (à Monsieur Lombard). - Oh, mais nous n'avons rien de commun dans nos avenirs. Monsieur LOMBARD. - Justement. Vous êtes de trop. BERNADETTE (d'abord pensive, se tourne ensuite vers les deux hommes).- En fait voilà, nous devons aborder le problème. MARIUS . - Le problème ? Quel problème ? SYLVIE. - En effet, il n'y a aucun problème. (à Bernadette) T'as qu'à prendre celui qu'a la bonne situation. BERNADETTE (à Sylvie). - Tu ne sais pas tout. (Aux autres) Eh bien voilà... en fait, c'est impossible. Monsieur LOMBARD. - Impossible ? Mais quoi donc ? BERNADETTE. - Eh bien, je ne peux m'engager, ni avec l'un, ni avec l'autre. Monsieur LOMBARD. - Si c'est ça, le problème... croyez bien, que pour mon amour, rien n'est impossible. MARIUS. - Allons... (En désignant Monsieur Lombard), dites-moi plutôt que c'est ce monsieur qui vous dérange. BERNADETTE. - Eh non... il s'agit encore d'un autre. SYLVIE. - Un autre ? Un autre autre ? MARIUS (héroïque). - Donnez-moi le nom de votre ennemi, et il aura à faire à moi ! BERNADETTE. - Il s'agit du Docteur Storm. Monsieur LOMBARD. - Du Docteur Storm ? Il vous aime ? BERNADETTE. - Il ne peut se passer de moi. MARIUS. - Et vous ? Vous l'aimez ? BERNADETTE. - Comment je pourrai lui résister. Il a toutes les méthodes pour séduire qui il veut. MARIUS. - Le monstre ! Monsieur LOMBARD. - L'ordure ! MARIUS. - Je vais lui faire la peau. Monsieur LOMBARD. - Ma Bernadette, pas de souci. Je peux arranger cette histoire. SYLVIE. - Le docteur ne peut se passer de toi. N'empêche qu'il est parti en vacances, en te laissant sur place. MARIUS. - ...Et en préférant emmener des livres avec lui. BERNADETTE. - Justement. Il voulait m'emmener. J'ai eu la force de résister. Il m'avait induit un rêve et... Bernadette est interrompue par un nouveau bruit de sonnette. SYLVIE. - Ah, c'est lui ! Au dernier instant, il a décidé de ne pas partir. BERNADETTE. - Mais non, pas possible (Elle s'arrête, car chacun la regarde).Oui... après tout... c'est peut-être lui... (Elle se laisse tomber sur le canapé). SYLVIE. - Que personne ne se dérange. (Elle part ouvrir). MARIUS (s'assoit à côté de Bernadette). - Nous allons arranger ça. Il suffit de discuter un peu avec lui. BERNADETTE (embarrassée). - Peut-être qu'il ne voudra rien dire. Monsieur LOMBARD (s'assoit de l'autre côté). - Nous l'obligerons à parler. BERNADETTE. - Non... il ne vaut mieux pas. Je lui ai promis de me taire. MARIUS. - Qu'importe. J'irai raconter que je l'ai surpris. (Il pose son bras sur l'épaule de Bernadette). Monsieur LOMBARD. - Et moi, je lui dirai qu'il m'a trahi. (A son tour, il met son bras sur l'épaule de Bernadette qui n'ose plus bouger).
Scène 4. - Entrent Madame Lombard et Sylvie. En les entendant, Monsieur Lombard et Marius retirent leurs bras subitement. Toutefois, assis et de dos à Madame Lombard, ils ne la voient pas. De même que Madame Lombard ne les remarque pas.Madame LOMBARD. - Je cherchais un dénommé Marius... Un homme d'affaires très bien, très élégant... et que j'ai rencontré la dernière fois, chez un certain docteur, le Docteur Storm. Mais lorsque ce soir je me suis rendue à son cabinet, le docteur était seul. Monsieur LOMBARD. - C'est curieux, il me semble entendre la voix de ma femme. (Il se lève, se retourne et la voit). Ah ! Madame LOMBARD. - Ah ! Monsieur LOMBARD. - Ma femme ! C'est bien elle. Madame LOMBARD. - Mon mari ! Encore ! MARIUS (se levant à son tour). - Ah ! Il se rassoit, mais Madame Lombard qui l'a vu, veut aller à sa rencontre. Madame LOMBARD. - Marius ! J'avais tant envie de vous revoir, de vous parler. Monsieur LOMBARD (à sa femme). - C'est ton amant ? MARIUS (à Monsieur Lombard). - Nullement. Entre temps, j'ai changé d'avis. Madame LOMBARD (à son mari). - Et toi ? N'es-tu pas venu voir ta maîtresse ? Monsieur LOMBARD. - Pas du tout. Tu te fais des idées. Bernadette n'est pas ma maîtresse... Pas encore. Madame LOMBARD. - Pas encore, mais c'était donc bien ton intention. Alors, confidence pour confidence, Marius n'est pas encore mon amant. (Elle va vers Sylvie). Bernadette. Vis à vis de moi, vous pouvez être rassurée, je vous laisse mon mari. Vous pouvez en faire ce que vous voulez. SYLVIE. - Merci pour votre affaire généreuse, Madame Lombard. Seulement, je ne suis pas Bernadette, mais Sylvie, la soeur de Bernadette. Monsieur LOMBARD (désignant Bernadette). - Oui, Bernadette, c'est elle. Madame LOMBARD. - Comment ? Elle ? Je ne savais pas que mon mari avait si mauvais goût. MARIUS. - Madame Lombard. Votre jalousie vous aveugle. Je trouve Bernadette si ravissante. BERNADETTE (à Marius). - Voilà qui peut arranger la situation. Vous me quittez pour Madame Lombard, et je reste donc avec Monsieur Lombard. MARIUS. - Ma Bernadette, vous quittez ! Comment je pourrais ! (Il lui chuchote). Il y a aussi que vous ne connaissez pas la vérité. Scène 5 : Marius prend le bras de Bernadette pour l'entraîner vers le devant de la scène.MARIUS. - Je dois vous avouer. Madame Lombard n'est en réalité nullement intéressée par ma personne. Madame LOMBARD. - Allons bon... voilà maintenant qu'on s'échange des confidences. MARIUS (à Bernadette). - C'est moi qui ai demandé au Docteur Storm de l'endormir. BERNADETTE. - Ah... SYLVIE. - Bon... Eh bien, puisque nous sommes si nombreux, je vais peut-être vous proposer quelque chose à boire. Madame LOMBARD. - Bonne idée ! Trinquons à nos amours futures. Monsieur LOMBARD. - Et oublions celles du passé ! (Il voit Madame Lombard qui fait la tête). Pardon chérie... Sylvie s'en va. MARIUS (à Bernadette). - Oui...une femme manquait dans ma vie... La solitude nous conduit à de telles sottises... BERNADETTE. - Ça, vous avez raison... Sylvie revient avec des verres et des bouteilles. SYLVIE.- Qu'est-ce que ces messieurs et dames veulent bien boire ? Monsieur LOMBARD. - Si vous avez un petit Ricard... MARIUS (à Bernadette). - Mais je peux tout de suite arranger ça... Pour qu'elle se réveille, il suffit que je prononce le chiffre... BERNADETTE (l'interrompt). - Ah non, surtout pas ! MARIUS. - Vous ne voulez pas ? Madame LOMBARD (à Sylvie). - Pour moi, seulement un jus de fruit. BERNADETTE. - Il faut agir autrement. J'ai une meilleure idée. MARIUS. - Ah oui ? Laquelle ? Bernadette pose un doigt contre ses lèvres, pour signifier à Marius de se taire. Tous deux reviennent vers les autres. BERNADETTE. - Et pour moi, un Scotch. SYLVIE. - Ah bon ? Parce que tu te mets au Scotch, maintenant ? BERNADETTE. - Oui, pour fêter une heureuse occasion. SYLVIE. - Une heureuse occasion ? MARIUS. - C'est ça. Une heureuse occasion. J'avoue ne pas savoir de quoi il s'agit. BERNADETTE. - C'est une idée. L'idée d'un projet qui devrait convenir à tous. Madame LOMBARD. - Un projet ? SYLVIE. - Pour quoi faire, un projet ? BERNADETTE. - A toi seule, Sylvie, je voudrai d'abord le confier. (Elle s'approche de sa soeur et lui chuchote dans l'oreille). Madame LOMBARD. - Décidément. C'est une manie. SYLVIE. - Pas mal ! L'idée me plaît. J'accepte. Seulement, il te faut l'accord de nos invités. BERNADETTE. - C'est bien ça. Ils doivent être des complices. Monsieur LOMBARD. - Des complices ? BERNADETTE (allant vers Monsieur Lombard). - Allons, vous qui êtes un homme de coeur, accepteriez-vous sans condition d'être mon complice ? Monsieur LOMBARD. - C'est si bien dit, que j'accepte en aveugle. BERNADETTE. - Et vous, Marius ? Est-ce que je ne mérite pas votre soutien ? Votre confiance ? MARIUS. - Oui... bien-sûr... mais vous changez toujours d'avis. De quoi s'agit-il maintenant ? BERNADETTE. - C'est pour un voyage dans l'imaginaire. MARIUS. - De nouveau le voyage... Oh, que je suis sot de ne pas avoir deviné. Après la marée haute, c'est forcément la marée basse... Oh, oh... que j'aime ce genre de navigation ! BERNADETTE. - Le voyage est seulement imaginaire. Alors, vous acceptez ? MARIUS. - Le flux et le reflux. BERNADETTE. - Entendez-vous, Madame Lombard... Il ne manque plus que votre accord. Madame LOMBARD. - Vous n'avez pas besoin de mon accord. Vous êtes déjà suffisamment accompagnée. Accompagnée ? Que dis-je ? Obéie ? Par deux sous-fifres. BERNADETTE. - Pas du tout. Le projet est fait pour plaire à tout le monde. Madame LOMBARD. - Quand on fait trop de mystères, à mon avis, il y a aiguille sous roche. MARIUS. - Madame Lombard, l'aiguille, c'est dans la botte de foin. Sous la roche, c'est l'anguille. Madame LOMBARD. - Oh oui, le foin, bien-sûr Marius... Monsieur LOMBARD. - Ma femme quand elle n'est pas à son aise, répète mal ce qu'elle entend des autres. BERNADETTE. - Précisément. Marius lui propose maintenant de choisir entre la roche et le foin. Madame LOMBARD.- Oh... Est-ce donc vrai, Marius, que vous me proposez un tel choix ? MARIUS. - Je ne vous le propose pas. Je vous l'impose. Madame LOMBARD. - Oh... Ça change tout, alors... Puisque vos demandes peuvent être des ordres, j'accepte ce que vous voulez... BERNADETTE. - Et bien, voilà qui est arrangé... Monsieur LOMBARD. - Oui, mais maintenant nous avons le droit de savoir. MARIUS. - Absolument... SYLVIE. - Vas-y, Bernadette. Raconte. BERNADETTE. - Attention. N'allons pas trop vite. D'abord, il faut planter le décor. MARIUS. - Le décor ? Quel décor ? Monsieur LOMBARD. - Oui, quel décor ? BERNADETTE. - Justement, celui que vous voulez. C'est à vous de l'imaginer. Madame LOMBARD. - Un décor à imaginer ? Celui qu'on veut ? Moi... Je propose une fête foraine. SYLVIE. - Aïe, c'est mal parti. Pas assez de place. BERNADETTE. - C'est surtout compliqué au niveau technique. MARIUS. - Alors, une plage... BERNADETTE. - Pour le sable, c'est possible. SYLVIE. - Oui, mais comment faire la mer ? Monsieur LOMBARD. - Dans ce cas... Moi, je propose une montagne, en été... mais coiffée avec des neiges éternelles. BERNADETTE. - Pour la neige, pas possible. SYLVIE. - Oui. Elle va fondre. Madame LOMBARD. - Alors... on laisse tomber la neige... Monsieur LOMBARD. - Mais non, Jacqueline, puisque ce n'est pas possible, la neige. Madame LOMBARD. - Ah ! Tu m'agaces ! Je veux dire qu'on enlève la neige. Plus de neige du tout, voilà. Et à la place, on met des vaches. SYLVIE. - Des vaches ? Mais comment on les fait rentrer ? Madame LOMBARD. - Les faire rentrer où ? BERNADETTE. - Dans le cabinet du Docteur Storm. Parce que c'est là où il nous faut planter le décor ! Madame LOMBARD. - Ah ! Et pourquoi le cabinet du Docteur Storm, et pas autre part ? BERNADETTE.- Parce que c'est au Docteur Storm que nous allons inventer un rêve. Un rêve auquel il sera obligé de croire... Monsieur LOMBARD. - Tout ce projet pour le Docteur Storm ? BERNADETTE. - Le docteur, n'a t-il pas abusé de notre confiance, avec de faux rêves ? Monsieur LOMBARD.- Justement. Qu'on l'envoie plutôt chez les Grecs. MARIUS. - Parfaitement ! Chez les Grecs. SYLVIE. - Voilà le bon décor ! Docteur Storm chez les Grecs ! Aux temps antiques ! Madame LOMBARD. - On ne pourrait pas faire plus simple, style le Médecin imaginaire, ou le Malade malgré lui ? BERNADETTE. - L'Antiquité, c'est exactement ce qui nous convient. (Elle se lève pour montrer). Jusqu'à la porte du cabinet médical, c'est l'Elysée et le Tartare ...enfin, tout ce qui est hors du monde terrestre... Madame LOMBARD (interrompant). - Et à l'intérieur du cabinet médical, on est sur la terre, cinq siècles avant Jésus-Christ. BERNADETTE. - Voilà ! On lui fait croire qu'il revient d'Olympe, la demeure des dieux. Monsieur LOMBARD. - Vous voulez lui faire croire une chose pareille ? MARIUS. - Impossible. C'est de la folie pure. Monsieur LOMBARD (en marchant). - Il prendra tout ça pour des bêtises. Il sait quand même faire la différence entre la réalité et une histoire inventée. (Il s'approche du canapé. En passant un pied devant l'autre, il attrape inopinément un morceau de laine cachée par Sylvie, qui reste accroché à sa chaussure. Il continue à avancer sans s'apercevoir qu'il entraîne tout l'écheveau avec lui.) Faut quand même pas croire que les gens sont idiots au point d'avaler n'importe quoi. Alors sinon, pendant qu'on y est, on lui fait croire qu'il est poursuivi par une pieuvre géante. (Il se retourne, voit la laine, a un sursaut de peur.) Ah ! Y a la bête ! Là ! Derrière moi ! SYLVIE (en riant). - Mais non, c'est simplement ma laine. (Elle ramasse la laine). Alors, voyez-vous comme ça peut être efficace. MARIUS. - Cela n'empêche qu'il s'agit bien d'une histoire à dormir debout. BERNADETTE. - Précisément, l'illusion sera telle qu'en dormant debout, il marchera. Parce que nous-mêmes, nous allons changer. Nous prendrons une autre identité. SYLVIE. - Celle de personnages fictifs ou de gens qui ont déjà existé ? Madame LOMBARD. - A moins que l'on devienne des dieux antiques. Mais oui ! D'authentiques dieux antiques. BERNADETTE. - Tic tic... Monsieur LOMBARD (riant). - Ah ah... Des dieux antiques... Moi, devenant un dieu de l'Antiquité. Je finis par trouver l'idée pas si mauvaise, après tout. MARIUS. - C'est vrai. Le rôle est quand même assez intéressant. Madame LOMBARD. - Et notre hypnotiseur, pareillement, deviendra le divin Hypnos. Peu à peu, il se mettra à croire à son personnage, et nous pourrons le manipuler à notre guise, l'articuler comme une marionnette. Il sera notre chose. Belle revanche. La plaisanterie en vaut la chandelle, n'est-ce pas ? BERNADETTE. - Ah oui. Seulement, il ne faudra pas nous trahir. Madame LOMBARD. - Soyez tranquille Bernadette. Vous pouvez compter sur moi pour mettre l'oiseau dans sa cage. Monsieur LOMBARD. - En rêve mieux qu'en naturel, ma Bernadette, pour vous, je suis capable d'être parfait. MARIUS. - Quant à moi. Si le personnage est téméraire, l'acteur le sera encore davantage. SYLVIE. - Merveilleux. Nous sommes d'accord. Arrosons cela. (Sylvie lève son verre). Aux Grecs ! Chacun lève son verre. Monsieur LOMBARD. - A notre Olympe ! MARIUS. - A notre voyage ! Madame LOMBARD . - Aux dieux sacrés de l'Antiquité ! BERNADETTE. - Et surtout, au sacré Hypnos ! ***** ACTE IV
Le cabinet du Docteur Storm est devenu méconnaissable. Les meubles en bois ont été remplacés par de sommaires supports en pierre taillée. A la place des ampoules, des bougies encore éteintes. Quelques piliers grecs ornent les côtés. Posés contre un des piliers, un arc et un carquois avec des flèches. Une rudimentaire paillasse pourrait bien faire office de divan. Cela ressemble au cabinet médical d'un hypnotiseur... des temps antiques. Situé à l'intérieur d'un temple grec, il comprend encore tous les instruments nécessaires aux oracles : un tabouret à trois pieds pour le trépied de la Pythie, et une vieille cuve en cuir, posée sur une table basse. On ne doit pas apercevoir dans la cuve, les combustibles ou sinon les fumigènes préparés pour qu'il y ait émanations de vapeurs, ou fumées, au moment des incantations. Scène 1 : Au lever du rideau, les personnages sont en scène, et parmi eux, agenouillé et en bleu de travail, un ELECTRICIEN qui effectue les derniers travaux d'aménagement.Madame LOMBARD. - Il n'y a pas à dire, le changement est radical. SYLVIE. - Souhaitons que le Docteur soit assez solide du coeur pour résister au choc. BERNADETTE. - Monsieur Lombard, j'espère maintenant que vous connaissez l'histoire de la Grèce antique. Monsieur LOMBARD. - J'ai révisé mes leçons comme le plus discipliné des élèves. Il n'y a que pour les mythes que je m'emmêle encore. Madame LOMBARD. - Ce sont des histoires de familles si compliquées... MARIUS. - C'est qu'en plus, ces divinités antiques se reproduisent comme des lapins, et pas seulement avec leurs légitimes. Madame LOMBARD. - Oui. Ce qui fait qu'on s'embrouille et que l'on prend la maîtresse pour la légitime, et encore par mégarde donne t-on des enfants à des dieux qui n'en ont pas la paternité. BERNADETTE (à Marius). - Avez vous eu le temps, au moins, de vous exercer au tir à l'arc ? MARIUS. - Oui. Mais je n'ai fait aucun progrès. (Marius saisit l'arc et prend une flèche) Je ne savais pas qu'il était si difficile de se servir de cet engin là. Mais maintenant, au moins, je l'utilise dans le bon sens. (Il fait une démonstration en disposant seulement la flèche sur l'arc). Vous voyez. SYLVIE. - Bien. Surtout, ne risquez rien de plus. Madame LOMBARD (se penche et regarde en direction des coulisses) . - D'après l'horloge solaire, Hypnos revient dans peu de temps. Sommes nous sûrs de n'avoir rien oublié ? Monsieur LOMBARD. - Le téléphone ! (Il le débranche) Ils ne l'avaient pas encore inventé au temps du coursier Thimoclès. (Il sort avec le téléphone), et puis quand on est Mercure, le dieu Messager, ceci n'est plus qu'un ordinaire gadget. BERNADETTE. - Il ne faut non plus, ni prise, ni interrupteur. Passez-moi le plâtre... (Elle prend un seau et une truelle, et applique du plâtre sur les murs). Monsieur LOMBARD (revenant). - Le plâtre, ça ne fait pas mieux. Marius prend un pinceau et un pot de peinture. MARIUS. - Laissez-donc. Je m'occupe de faire un effet marbre (Il se penche sur le mur pour peindre avec application). Pendant que Marius effectue les travaux, l'électricien se relève et rassemble ses outils. L'ELECTRICIEN. - Bon. Bein moi. J'ai terminé. SYLVIE. - Magnifique ! Nous allons pouvoir expérimenter. J'essaye la sonnette ? BERNADETTE. - Va donc voir. (Sylvie sort). Nous devons vérifier que notre fabuleux Cerbère joue bien son rôle de gardien des Enfers. L'ELECTRICIEN. - Aucun problème, mademoiselle... La connexion du bouton de la sonnette sur la bande sonore est comme il fallait. On entend tout à coup des aboiements de chiens. MARIUS. - En effet. Ce sont des aboiements. Seulement, comme on ne voit pas le chien, pas facile d'imaginer qu'il a plein de yeux tout autour de la tête. On ne pourrait pas plutôt choisir une race qui se rapproche un peu de ce qu'on peut trouver à la SPA ? BERNADETTE. - Impossible. C'est le mythe qui le dit. Monsieur LOMBARD. - On devine quand même qu'il s'agit d'une grosse race. Un croisement boxer. (Il s'avance vers le public). Quant aux yeux... bah... c'est toujours une habitude de croire que dans le noir, il y a des tas de yeux qui nous observent. Tandis que Sylvie revient, l'électricien se dirige vers un angle de la pièce. L'ELECTRICIEN. - Alors, maintenant, le bouton pour l'orage. Je vous le montre. Il est caché là. Monsieur LOMBARD.(s'approchant) - Merveilleux. Je peux essayer ? L'ELECTRICIEN. - Allez-y ! Monsieur Lombard appuie sur le bouton. Des effets sons et lumières provoquent un orage. Les personnages sont obligés de parler plus fort. Monsieur LOMBARD. - Pour un orage, c'est un orage ! BERNADETTE. - Il est plus terrifiant qu'un vrai orage! Monsieur LOMBARD. - On a même l'impression qu'il va flotter ! MARIUS. - Sans pluie, c'est mieux. On arrive à comprendre. Monsieur LOMBARD. - Qu'est-ce qu'on arrive à comprendre ? MARIUS. - Et bien, qu'il s'agit de la colère du Grand Zeus. L'orage s'arrête. L'ELECTRICIEN. - Bon. Maintenant que c'est fini, je vous fais la facture. C'est à quel nom que j'adresse ? MARIUS. - Au mien. Eros-Cupidon, s'il vous plaît. L'électricien fait l'étonné. Sylvie éclate de rire. SYLVIE. - Marius, vous n'êtes pas sérieux. Monsieur l'électricien ne peut pas écrire à Olympe, poste restante. L'ELECTRICIEN. - Alors, c'est à Monsieur Marius que je mets... MARIUS. - Oui. Si vous préférez... On ne va pas chipoter sur des détails d'identité. Monsieur LOMBARD. - Quand même. Je trouve incroyable que des dieux soient asservis à la nécessité de payer des factures. Ça ne vous scandalise pas, vous, monsieur qui êtes électricien ? L'ELECTRICIEN. - J'veux pas vous contredire, Monsieur, mais c'est qu'moi, j'travaille dur chaque jour pour gagner ma vie. Monsieur LOMBARD. - Ah... Parce que vous croyez d'Hermès qu'il ne travaille pas, lui. Voyez. Il se charge de tous les messages. Et pas seulement... Il transporte les âmes des morts. L'ELECTRICIEN. - C'est un métier bizarre que vous me racontez là Monsieur, mais vous savez, j'suis pas au courant de tous les débouchés qui existent aujourd'hui. Monsieur LOMBARD. - Et ce n'est pas tout. Hermès, c'est le Dieu des commerçants, des médecins... et aussi des voleurs. L'ELECTRICIEN. - Et des voleurs ? Alors là... monsieur, sachez que mon travail est honnête et que je ne traite pas avec ce genre de profession... (troublé, il hésite un moment). Bon, où est-ce que je dois me mettre pour la faire la facture ? Madame LOMBARD. - Asseyez-vous donc sur le trépied de la Pythie. SYLVIE. - Au fait. Nous n'avons pas pensé à qui fera le rôle de la Pythie. Ô Ariane Ô ma soeur ! comme tu restes une mortelle, tu es celle qui convient le mieux pour ce rôle là. BERNADETTE. - Si moi je suis Ariane, n'oublie pas que du point de vue mythique je ne suis plus ta soeur, ma chère soeur. SYLVIE. - Pour ça, ne t'inquiète pas. Je sais bien qu'Ariane, qui est la soeur de Phèdre qui a épousé Thésée, est fille d'une famille maudite, et pour n'être qu'une simple mortelle, elle ne peut être ma soeur, puisque je suis au rang des divinités en devenant, moi, Artémis, déesse chasseresse. Encore que... J'ignore tout des législations inter-cosmiques. BERNADETTE. - Décidément, le Destin ne cessera jamais de m'accabler. Malgré tout, j'accepte d'être celle qui fait la Pythie. Monsieur LOMBARD. - Ne t'inquiètes pas, belle Ariane, le dieu Messager aura besoin de tes services. BERNADETTE. - C'est vrai. Il te faut une standardiste pour noter les messages. L'ELECTRICIEN (qui cherche encore où s'asseoir, et désigne le tabouret). - C'est là que je dois me mettre ? BERNADETTE. - Mais oui ! On vous a dit : le trépied de la Pythie. Vous êtes sourd ou quoi ? L'ELECTRICIEN (s'asseyant). - Non non, mademoiselle. Bon alors (il compte sur ses doigts), 8 et 2 ; 10. 10 et 7 font 17. Je laisse le 7 et je retiens 1. BERNADETTE. - Attention, monsieur ! L'ELECTRICIEN. - Quoi donc ? BERNADETTE. - Ce que vous venez de faire est une parjure... L'ELECTRICIEN. - Je comprends pas, mademoiselle. BERNADETTE. - Comment ? Ignorez-vous donc que vous êtes en des lieux sacrés, et assis sur le tabouret de la Pythie ? L'ELECTRICIEN. - Mais mademoiselle, c'est bien vous qui m'avez autorisé... BERNADETTE. - Et qu'avez-vous fait alors ? L'ELECTRICIEN. - Et bien, j'étais en train de faire les comptes pour la facture ? BERNADETTE. - Mais misérable ! Vous avez prononcé des chiffres à voix haute. L'ELECTRICIEN. - C'est que mademoiselle, je ne suis pas très fort en calcul, et je dois compter sur mes doigts pour ne pas me tromper. BERNADETTE. - Aïaïaïe... ignorant... Prononcez des chiffres à voix haute... c'est une insulte jetée à la figure des dieux. Un chiffre en particulier, de très petite taille, et qui doit ici rester sous silence. L'ELECTRICIEN. - Oh, si c'est rien que ça qui dérange. Moi, ça ne me gêne pas de calculer à voix basse. BERNADETTE (hautaine). - Alors c'est bon. Je vous pardonne. Tâchez de ne pas recommencer. L'ELECTRICIEN. - D'accord, mademoiselle. (Il poursuit ses calculs en articulant, mais sans qu'on l'entende). BERNADETTE. - Oh, et puis arrêter de m'appeler mademoiselle. Vous savez bien qu'Ariane est mariée à Dionysos. L'ELECTRICIEN. - Non madame, je ne savais pas et je m'excuse. C'est que comme vous ne me disiez que votre prénom, j'ai pas cru qu'il fallait vous appeler Madame. Madame LOMBARD - Comprenez qu'Ariane est fière de son ivrogne de mari, car bien qu'étant au rang des dieux, il a eu la complaisance d'épouser une humble mortelle. BERNADETTE. - Oh, Héra est fière d'être l'épouse de Zeus, elle mais ne dira rien sur les frasques du maître d'Olympe, qui l'a fait cocue plus d'une fois. Quant à la réputation du fils... (elle désigne Monsieur Lombard) Etre connu comme le dieu des voleurs. Monsieur LOMBARD. - Un dieu, quand même... BERNADETTE. - ...Oui, mais des voleurs, quand même. L'ELECTRICIEN (à Madame Lombard) - C'est votre fils madame ! Vous avez dû l'avoir jeune ! Madame LOMBARD. - En effet, j'ai été une toute jeune femme. Je lui ai donné le sein. (en riant). Et même les deux seins. MARIUS. - N'essayez pas de comprendre, monsieur, la reproduction parmi les dieux, qui ne connaissent pas le complexe d'Œdipe. Alors, c'est forcément plus compliqué, entre le père, le fils. Tenez, par exemple, dans la bible on dit bien que... BERNADETTE.(interrompant) - ...Et entre l'épouse et le mari, ce n'est pas plus simple. L'ELECTRICIEN. - Oh, ce sont là des histoires qui me regardent pas. Madame LOMBARD. - Il a raison. Evitons les rumeurs. Toutes nuisent à nos foyers. Les vraies, et les fausses. BERNADETTE. - Les vraies tout de même. Il y en a qui ne sont pas fausses. Madame LOMBARD. - Mieux vaut se taire, quand on a un mari alcoolique, et qu'on ne sait même pas entretenir son intérieur, comme son extérieur, d'ailleurs. BERNADETTE. - La remarque tombe à pic. Puisque tu es la meilleure pour t'occuper d'un foyer, il faudra alors penser à balayer la poussière que monsieur nous laisse avec ses travaux. Madame LOMBARD. - Oh, pour la femme de ménage, ça, allez la chercher ailleurs ! SYLVIE. - Pourtant, "femme de ménage" et "femme du ménage", la différence n'est pas grande. Un "de" à la place d'un "du". MARIUS. - Elles ont raison. Tu es déesse du foyer. Aucune autre divinité ne connaît mieux que toi, l'art d'entretenir un intérieur. L'ELECTRICIEN. - Si ça vous crée des histoires, moi je veux bien passer moi-même le balai, mais c'est sûr que Madame ferait ça mieux que moi. Madame LOMBARD (va chercher un balai). - Ça va, j'ai compris. Je préfère encore défendre mon statut. Madame LOMBARD. - Bonne initiative. Zeus ne serait pas Zeus, si Héra n'était pas Héra. Madame LOMBARD. - Bon. N'allons pas faire des travaux ménagers une affaire d'état. SYLVIE. - Et cependant, tenir le balai, c'est presque déjà, brandir le sceptre du pouvoir. BERNADETTE. - Oui, seulement... personne ici représente le Grand Zeus. SYLVIE. - Voilà le problème. Il n'y a pas Zeus, mais il y a son épouse Héra. Monsieur LOMBARD. - ...Et Hermès, son fils. BERNADETTE. - Et nous avons même préparé l'orage. MARIUS. - Docteur Storm, ou... je veux dire Hypnos, ne marchera pas dans la combine. S'il ne voit pas Zeus, il ne nous croira pas. SYLVIE. - Oui, sans Zeus en chair et en os, on ne peut plus croire aucun dieu. Monsieur LOMBARD. - Si nous ne sommes plus crédibles, alors que faire ? SYLVIE. - Il nous faut trouver un volontaire pour le rôle de Zeus. Monsieur LOMBARD. - La déesse de la Chasse, ne peut-elle être pour une fois chasseuse de têtes. SYLVIE. - Moi ? Je chasse les bêtes. Pas les têtes. BERNADETTE. - Eh ! A quoi bon chercher ? Nous avons déjà notre homme. MARIUS. - Ah oui ? Et de l'homme dont tu parles, crois-tu pouvoir en faire un dieu ? BERNADETTE. - C'est déjà comme si le dieu s'était désigné de lui-même. SYLVIE. - Ah oui ? Madame LOMBARD. - Qui donc ? BERNADETTE (en le désignant). - Monsieur, qui est électricien. MARIUS. - Lui ? Monsieur LOMBARD. - Lui ? L'ELECTRICIEN. - Moi ? BERNADETTE. - Allons, monsieur. Vous n'allez pas refuser être le Grand Zeus ! L'ELECTRICIEN. - Vous me demandez un service... Madame ? BERNADETTE. - Non Monsieur. Je ne vous demande rien. Je vous offre un rôle. Le plus beau des rôles. L'ELECTRICIEN. - Merci bien pour votre offre, mais ma femme m'attend ce soir pour le dîner. BERNADETTE. - Ah, vous hésitez ! A cause de votre femme ! Mais désormais Héra est votre femme, et elle est ici présente près de vous. Madame LOMBARD. - Mon cher mari ! BERNADETTE. - Et votre fils Mercure est là également. Monsieur LOMBARD. - Papa ! L'ELECTRICIEN. - Vous m'excuserez. Mais toutes ces choses là me font un peu mal à la tête. BERNADETTE. - Oh oh... Vous doutez donc d'Ariane qui lit les destinées sans ne jamais se tromper. L'ELECTRICIEN. - Mais moi, j'peux pas prendre la place de quelqu'un qu'est pas là et que j'connais même pas. BERNADETTE (en allant chercher un miroir). - Comment donc, qui n'est pas là et que vous ne connaissez même pas ? Et bien dans ce cas, je vais vous montrer à qui il ressemble l'inconnu que vous ignorez. Regardez (elle lui présente un miroir). L'ELECTRICIEN (de peur). - Ah ! BERNADETTE. - Qui voyez-vous ? L'ELECTRICIEN. - Moi. BERNADETTE. - Alors ! C'est bien quelqu'un que vous connaissez et qui est là. Regardez mieux encore. L'ELECTRICIEN. - Quoi ? BERNADETTE. - L'image ne vous donne t-elle pas toutes les informations nécessaires ? L'ELECTRICIEN. - Oui, mais moi... BERNADETTE.(interrompant). - C'est de l'image, dont je vous parle. Simplement l'image. Ne voyez-vous pas là un être sublime et grandiose, doué d'une puissance sans égal ? L'ELECTRICIEN.(s'admirant). - Off. Peut-être bien. BERNADETTE. - Alors, saisissez donc le Grand Zeus que vous y voyez. L'ELECTRICIEN. - Mais j'saurai pas faire, madame. SYLVIE. - Vous avez déjà fait venir la foudre. L'ELECTRICIEN. - Je ne suis qu'électricien. BERNADETTE. - Le prétentieux... (Elle pose le miroir). L'ELECTRICIEN. - Oh non. Tout le contraire, madame. BERNADETTE. - Tout le contraire ?... (Riant). La fierté de la modestie, vous voulez dire. La prétention d'être l'image que les autres vous donnent. Mais vous n'êtes sur terre qu'un simple mortel. Comme tout le monde. Votre image, seule, votre image est éternelle. L'ELECTRICIEN. - Eternelle ? Mon image ? Depuis quand ? BERNADETTE. - Depuis quand ? Depuis quand l'éternité ? Mais depuis toujours ! Déjà dans les temps antiques, s'imposait la figure du Grand Zeus à la face du monde. Est-ce qu'il s'agit de vous, aujourd'hui ? L'ELECTRICIEN. - Non. BERNADETTE. - Alors, vous voyez que vous n'avez rien à craindre. L'ELECTRICIEN. - C'est que je ne suis qu'électricien. BERNADETTE. - Et voilà bien, votre dernier recours... Ecouter les autres qui veulent détruire l'image qu'ils jalousent. Et pourquoi donc la jalousie ? Parce que vous êtes par trop de façons capable de ressembler au Grand Zeus, et ce sont les défauts du Dieu qui sont critiqués, mais non les vôtres. Allons, déterrez cette image que les autres veulent ensevelir, avec ses qualités et ses vices, et ainsi vous justifierez à chacun votre prodigieuse ascension de l'électricien... au dieu. Qui ne rêverait pas d'une semblable promotion ? L'ELECTRICIEN. - Un dieu, vous dites donc pour de vrai ? C'est que moi je ressemblerais plus à un ?... Et c'est donc à cause de ça que ?... Alors là, pour une promotion, c'est sûr que c'est une promotion ! SYLVIE. - Et pas un dieu ordinaire. Vous devenez le dieu des dieux, Maître de l'Olympe. Le Grand Zeus. L'ELECTRICIEN. - Malgré tout, s'il fallait choisir, je me contenterais bien du Petit. Madame LOMBARD. - Ta ta ta ! C'est trop tard pour choisir. Votre destin a choisi avant vous. MARIUS. - L'escalade est si rapide qu'il lui faut bien un peu de temps pour s'habituer. L'ELECTRICIEN. - Monsieur a raison. Il faut un peu de temps pour que je m'habitue. Madame LOMBARD. - Aucun problème à cela. Prends donc le bras de ta chère épouse qui va t'aider et sagement te conseiller. (Elle lui tend un bras pour le guider vers la sortie). L'ELECTRICIEN. - Bon. J'fais donc comme on me dit de faire. SYLVIE. - Oui, nous allons t'expliquer. Tu as aussi besoin de mon soutien. Sylvie rejoint Madame Lombard et attrape l'autre bras de l'électricien. Madame LOMBARD. - Laisse donc promener ton bras ailleurs, perfide Artémis. Je te défends de toucher à mon époux. SYLVIE (aux autres). - Ce qu'elle peut-être jalouse, notre Héra. Mais ce n'est plus un secret pour personne. L'électricien, Madame Lombard et Sylvie disparaissent. BERNADETTE. - Je crois qu'il vaut mieux que je les rejoigne. On ne peut laisser ensemble deux femmes d'un tel caractère, seules, avec le Grand Zeus. Je m'en vais les surveiller. Bernadette s'en va à son tour. MARIUS (observant son arc). - Tu sais quoi Hermès ? Monsieur LOMBARD. - Quoi donc, Eros ? MARIUS. - Depuis que Zeus est parmi nous, je me sens un peu diminué. Monsieur LOMBARD. - T'as raison. A moi, ça me fait pareil. MARIUS. - Bon. Dans ce cas, je vais essayer de me perfectionner en tir à l'arc. Monsieur LOMBARD. - Et moi, je vais essayer de me trouver un caducée, qui puisse me servir d'attribut. Monsieur Lombard et Marius s'en vont. ***** ACTE V
Même décor. Les instruments et outils du chantier ont été enlevés. Scène 1 : Arrive Sylvie qui allume une à une les bougies, et les projecteurs s'éclairent peu à peu. Arrive Bernadette qui s'assoit sur le trépied. Sylvie incendie alors la cuve qui se trouve face à sa soeur. Il en sort de la fumée. Bernadette se met en position de méditation.BERNADETTE. - Il va arriver. SYLVIE. - Qui donc ? BERNADETTE. - Hypnos. (On entend les aboiements de Cerbère). Je te l'avais prédit. SYLVIE. - Bon. Je pars ouvrir. BERNADETTE. - Vas-y. Je suis en condition pour le recevoir. Bernadette reste en position de prière. Sylvie revient avec le Docteur Storm. Docteur STORM. - Mais qu'est-ce que c'est que ce souk sur mon lieu de travail ! SYLVIE (un doigt sur la bouche). - Chut... Ariane est pour l'instant en train d'appeler Apollon. Docteur STORM. - Et bien qu'il vienne cet Apollon ! Et aussi l'Ariane en question ! Parce que moi, j'ai deux mots à leur dire, aux squatters ! (Il regarde autour de lui). Mon mobilier ? Qu'ont-ils fait de mon mobilier ? (Il regarde Bernadette). Et d'abord, elle, je la connais ! (criant plus fort). Bernadette ! BERNADETTE. - Chut ! SYLVIE. - Chut ! Docteur STORM. - Comment ! Me taire ! Moi ? Alors que je pourrais porter plainte. Déjà pour la serrure qui a été changée. A mon insu ! Si bien que je ne pouvais plus rentrer chez moi, avec ma propre clef ! SYLVIE. - Nous étions tous inquiets de ta disparition, Hypnos. Docteur STORM (en aparté). - Hypnos ? Moi ? Elles me prennent pour Hypnos. Elles délirent. (Il s'assoit). Où est le chien ? SYLVIE. - Le chien ? Quel chien ? BERNADETTE (sans bouger). - Ouaf... Ouaf... Docteur STORM. - Bein quoi ! J'ai pas rêvé. Il y avait bien un chien qui aboyait quand je suis arrivé. SYLVIE. - Ah oui ! Un chien ! Gros, non ? Et puis avec... (Elle mime avec ses mains les yeux que Cerbère a autour de la tête). Docteur STORM. - Qu'est-ce que ça veut dire exactement, ça ? (Il refait le geste). SYLVIE. - Et bien, avec des yeux partout. Tout autour de la tête. Docteur STORM. - Je vous parle pas d'un cactus ! Je vous parle d'un chien ! SYLVIE. - Oui. D'un chien. J'ai compris. Tu me parles de Cerbère. Mais enfin, tu sais bien que Cerbère qui garde les Enfers, n'a pas le droit de venir ici, sur terre. Docteur STORM. - Sur terre ? Parce que vous pensez avoir encore les pieds sur terre ? (à Bernadette). Vous, au moins, vous savez que je suis le Docteur Storm, et qu'il n'y a pas plus de Cerbère que d'Hypnos. BERNADETTE. - Je dois me concentrer, et savoir Hypnos, quel trouble t'a fait perdre la mémoire durant ton séjour au royaume des Ombres. Je te prie de ne pas m'interrompre. Bernadette entre dans une sorte de transe. Docteur STORM. - Soit elles sont carrément folles, soit c'est une plaisanterie. SYLVIE. - Je ne prends pas pour plaisanterie qu'on insulte Artémis, déesse de la Chasse. Docteur STORM. - Vous ? Artémis ? Déesse de la Chasse ? De mieux en mieux. SYLVIE. - Oui Hypnos, comme tu le sais. Je suis Artémis la sauvage, l'aventurière, la solitaire, amoureuse avant tout des libertés, et parce qu'amoureuse des libertés, n'attends jamais que je t'épouse. Docteur STORM. - Mais... Je ne vous ai rien demandé, moi. SYLVIE. - Mais bon, puisque tu as dû souffrir d'une tourmente durant ton voyage, j'accepte de t'offrir mes soins. Assis-toi donc que je m'occupe de toi. Docteur STORM.(s'asseyant) - Je finis par croire en effet, que ça m'est strictement indispensable. Sylvie ôte la veste du Docteur Storm, lui masse les épaules, retire ses chaussures puis ses chaussettes, et amène une bassine d'eau dans laquelle elle fait tremper ses pieds. Puis elle lui essuie les pieds, et ensuite les frotte d'une huile contenue dans une fiole, pour un nouveau massage. Pour finir, elle lui amène un drap avec lequel elle l'habille. Pendant ce temps, Bernadette commence ses incantations. BERNADETTE. - Vaste empire de l'infinie immortalité, qui offre à mes yeux témoins le spectacle de ses astres... joyaux phosphorescents suspendus à la couronne céleste, couronne qui abrite Olympe, antre de nos dieux vénérés, par la grâce desquels nous vivons sur la terre féconde de leurs mystérieux présents, Ariane qui vous parle au travers des vapeurs transcendantes, t'attends toi, beau dieu des oracles. Ô ! Apollon ! Une voix sonorisée retentit : « Ariane, fille de Minos et de Pasiphaé... Apollon est sur Olympe, et t'écoute. » Docteur STORM. - Mais qu'est-ce que c'est donc, cette sono ? SYLVIE. - Détends-toi... Ferme les yeux pour mieux te souvenir. BERNADETTE. - Hypnos est revenu. Mais hélas, il a perdu l'esprit. La voix sonorisée : « Hypnos, durant son voyage au royaume des Ombres, a été aux Bahamas... région aux frontières de l'Elysée. » BERNADETTE (au Docteur Storm). - Est-il vrai, Hypnos, que tu as été aux Bahamas ? Docteur STORM. - Certes. Mais la révélation n'a rien de bien surprenant. La voix sonorisée : « Ensuite Hypnos, aux Bahamas... a pénétré dans le domaine de Poseïdon, dieu des Mers et des Océans. » BERNADETTE (au Docteur Storm). - Est-il vrai, Hypnos, que tu t'es baigné dans les eaux de Poseïdon. Docteur STORM. - Certes. Je me suis baigné. Vous avez bien deviné. Il ne s'agit là que d'une simple déduction. Si je vais aux Bahamas, c'est certainement pour me baigner. La voix sonorisée : « Mais Hypnos a osé souiller la demeure de Poseïdon, et ce dernier, dans sa colère, l'a frappé de folie et d'une tourmente qui le rend sans mémoire. » BERNADETTE. - Apollon... Ô ! Apollon, dieu des Cités et des Oracles... Raconte-moi encore. Comment Hypnos a t-il suscité la colère de Poseïdon en souillant sa demeure ? De quel mal, le Dieu des Mers et des Océans le rend coupable ? La voix sonorisée : « Durant ces moments où Hypnos jouissait du bon accueil de Poseïdon, le dieu de l'hypnose a osé uriner en son royaume.» Docteur STORM. - Oh ! Ça alors ! c'est fort ! C'est de la vraie divination. SYLVIE. - De l'étonnement. Pour si peu. Docteur STORM. - Avoir su deviner un de mes comportements les plus intimes. Ceci dit. SYLVIE (l'interrompt). - ...Dans sa colère, Poseïdon a certainement dû aggraver ton complexe oedipien. La mer, ne te rappelait-elle pas ta Mère ? Docteur STORM. - Oh mais oui, bien-sûr. Ma sexualité s'est éveillée de très bonne heure. BERNADETTE. - Dis-moi Bel Apollon, peux-tu d'Olympe, savoir quel remède peut guérir Hypnos de sa folie ? La voix sonorisée : « Ariane, épouse de Dionysos, Apollon peut te répondre : pour guérir, Hypnos ne devra plus entreprendre de voyages à l'Elysée... » Docteur STORM. - Mais je ne suis jamais allé à l'Elysée. Jamais ! Jamais ! La voix sonorisée : « Il ne devra revoir sa chouette, qui lui sera confisquée pendant la période de six lunes. » Docteur STORM. - Je n'ai jamais voulu d'animaux domestiques à la maison. Ni chat, ni chien, ni chouette. La voix sonorisée : « ...Il devra arrêter de tuer son père et d'épouser sa mère. Il ne devra plus quitter son temple, et n'exercera en aucune circonstance son art, jusqu'à ce que les esprits lui reviennent. » BERNADETTE. - Oh merci ! Dévoué Apollon pour tes sages prédictions et tes précieux conseils. Bernadette éteint le brasier et quitte sa place. Docteur STORM (se levant). - Bon allez. La plaisanterie a assez duré... Qu'on arrête la mise en scène. D'abord, je ne peux pas croire que je suis un dieu, pour une bonne raison. Je suis athée. BERNADETTE et SYLVIE (ensemble). - Ah... Docteur STORM. - Cela voudrait donc dire que je crois ne pas exister. Tout de même c'est impossible ! SYLVIE. - Un manque d'assurance de ta part pourrait très bien expliquer le phénomène. Docteur STORM. - Et puis à l'oracle, moi, je préfère le modernisme. Et d'abord. Où est téléphone ? Et où a t-on mis mes meubles ? Et qu'on me retire ce matériel de cirque ! SYLVIE. - Les outils et les objets dont tu fais allusion n'existent qu'au royaume des Ombres... Docteur STORM. - Les prises ont également disparu. SYLVIE. - Mais non. Tu les as rêvées... Comme le téléphone. Quant aux aboiements de Cerbère, étaient-ils une illusion ? Docteur STORM. - Je les ai entendus comme vous. BERNADETTE. - Et la voix d'Apollon ? Docteur STORM. - En effet, j'ai entendu parler une voix. Dire maintenant qu'il s'agissait de celle d'Apollon... SYLVIE. - Alors, tu vois bien Hypnos, que tu t'imposes à toi-même des illusions. Docteur STORM (allant vers le divan "antique"). - Bon, je vais m'allonger un peu, pour une petite séance d'hypnose qui va me remettre d'aplomb. BERNADETTE. - Oh oh... Tu as entendu l'Oracle. Interdiction d'exercer l'art d'hypnose. Docteur STORM. - Et comment ça ? Même sur moi-même ? Ça voudrait dire encore que je n'ai pas le droit de dormir ? SYLVIE. - Réfléchis. Après, si c'est pire, c'est à nous que tu en voudras. Docteur STORM (renonce au divan et s'assoit sur le sol). - Me voilà donc dans un piège. BERNADETTE. - Ton piège s'appelle l'évidence. Sylvie est allée discrètement appuyer sur le bouton qui déclenche le simulacre d'orage. Docteur STORM. - Qu'est-ce que c'est ? SYLVIE. - Ce ne peut être que le Grand Zeus. Docteur STORM. - Le Grand Zeus ? Oh mais oui, pourquoi pas ? Zeus, maintenant... On n'est plus à un dieu près. SYLVIE. - Il n'est pas loin. Il va venir. Docteur STORM. - A moins de 340 mètres. J'ai compté les secondes entre les éclairs et le tonnerre. Il y en a zéro. BERNADETTE (de peur). - Ah ! Docteur STORM. - Qu'a t-elle donc ? A t-elle peur de l'orage ? BERNADETTE. - Oui, c'est ça, et surtout ne vous avisez plus de compter les secondes, surtout lorsqu'il y en a zéro. On ne sait jamais, en ce qui concerne les coups de foudre. Scène 2 : On entend les aboiements et encore l'orage. Entre l'électricien qui a changé de tenue, pour celle drapée du Grand Zeus. Il est accompagné de Madame Lombard, sa supposée épouse. L'électricien est devenu sérieux et solennel, mais il est néanmoins détendu. C'est un bon vivant (?) Il joue son rôle sans défaillir.BERNADETTE. - Bienvenue à toi, Ô Grand Zeus, dieu des dieux et Maître de l'Olympe. Et bienvenue à ton épouse Héra. L'ELECTRICIEN. - Heureux de te rencontrer, Ariane, sur cette bonne vieille terre, et toi aussi, Artémis... qui nous prévoit toujours de bons festins. Madame LOMBARD. - Bonjour beau monde, avec qui j'aurai le grand plaisir de partager le séjour terrestre. SYLVIE. - Bienvenue à vous, Zeus et Héra l'épouse. Il est si rare de vous voir réunis. Madame LOMBARD. - Héra pourra ainsi surveiller de bien près son fourbe de mari, au cas où il lui serait pris de l'idée d'aller séduire quelques belles sirènes. L'ELECTRICIEN (ricanant, puis de nouveau sérieux). - Sois sans crainte, Héra. Mes intentions sont sages et je me suis résolu à des efforts dans la fidélité. Je tiens, moi aussi, à ma réputation. Madame LOMBARD (qui remarque le Docteur Storm). - Oh, Hypnos est là également ? Qu'a t-il donc ? Il ne bouge pas. Docteur STORM (qui remarque Madame Lombard). - Madame Lombard ! Madame LOMBARD. - Il me nomme d'un nom curieux. BERNADETTE. - A moi, il a fait le même coup. SYLVIE. - Hélas, il est très malade, depuis son retour du royaume des Ombres. L'ELECTRICIEN. - Si vous lui tournez autour ainsi, il ne se rétablira jamais. Laissez moi seul lui parler. (Il va vers le Docteur Storm) Docteur STORM. - Bonjour mon Père. L'ELECTRICIEN. - En effet , le mal est de taille. Ah, mais oui, je me souviens dès lors de la nouvelle. Disait-on que tu avais perdu la raison. A moins que ce soit la mémoire ? Qu'est-ce donc au juste ? Docteur STORM. - Je dois t'avouer Grand Zeus, pour commencer, que je n'ai pas le moindre souvenir de t'avoir rencontré un jour. L'ELECTRICIEN. - A ce point ? Docteur STORM. - Oui. A ce point. L'ELECTRICIEN. - (Aux autres) Hypnos exagère ! (Au docteur Storm) Alors, de quoi te souviens-tu ? Docteur STORM (se lève et se déplace). - Et bien cette pièce, c'était mon cabinet médical. L'ELECTRICIEN. - Ah oui ? Docteur STORM. - Et là, il y avait ma bibliothèque, remplie de mes livres... et là, une armoire, et à cet endroit, ma table... et même qu'un jour, elle était encombrée de papiers et que j'avais demandé à Bernadette. BERNADETTE. - Et voilà, il recommence. Il nomme de deux noms les personnes. Un cas singulier de dédoublement de la personnalité. SYLVIE. - Il inverse la réalité. Il prend le monde de l'Au-delà pour celui des vivants, et se trouble de voir des dieux parmi les mortels. L'ELECTRICIEN. - En effet, Hypnos... Tes souvenirs te viennent du monde d'Hadès probablement. Car sur terre, les fantaisies que tu nous décris n'existent pas. SYLVIE. - C'est exactement ce que nous lui avons dit ! Docteur STORM. - Comment ? N'as-tu jamais apprécié, ici, le confort d'un fauteuil ? L'ELECTRICIEN. - Le confort, ma foi, je le trouve ça et là. Docteur STORM. - Alors, une bibliothèque ? L'ELECTRICIEN. - Il existe en effet, à Alexandrie, une vaste bibliothèque de renom. Docteur STORM. - Mais elle a entièrement brûlé. L'ELECTRICIEN. - Nullement ! Sans doute te souviens-tu des prédictions d'un oracle. Docteur STORM. - Alors, si ce sont les prédictions d'un oracle, appelons les pompiers. L'ELECTRICIEN. - Les pompiers ! Quel nouveau genre de satyres nous invente t-il ? Docteur STORM. - Quoi ? Tu ne connais pas ces hommes qui ont un casque sur la tête, et une voiture rouge avec une échelle et qui fait Pin Pon Pin Pon Pin Pon ? Madame LOMBARD. - Parle t-il sans doute d'une tribu guerrière. Docteur STORM. - Non. Ils doivent éteindre les incendies. SYLVIE. - Il voit donc tout s'embraser. N'est-ce pas là plutôt la crainte d'une trahison de Prométhée qui voudrait voler le feu aux dieux pour le distribuer aux hommes ? Docteur STORM. - Prométhée, j'en ai déjà entendu parler. L'ELECTRICIEN. - Et pour cause. J'ai déjà eu à faire à ce fourbe de titan. Docteur STORM. - Mais ? N'avons nous jamais dépassé la jeune époque de l'Antiquité ? L'ELECTRICIEN. - Voilà donc. Il fait de l'Antiquité une jeune époque. Nommes-tu Antiquité tout ce qui te paraît jeune ? Docteur STORM. - Ma foi, il est vrai que ce serait plutôt l'inverse. Il n'y a bien que des vieilleries que nous pouvons nommer Antiquités. Madame LOMBARD. - Anti - quité. De Antos, qui veut dire Avant, adjoint à la racine du verbe Quitter. Ce qui signifie globalement, Avant de quitter, manière élogieuse de désigner Les Ages Avancés. Docteur STORM. - Alors, je ne comprends plus rien du tout. Ni aux Temps, ni aux Lieux. Dites moi, au moins, comment se nomme là où nous sommes. L'ELECTRICIEN. - Le Mont Parnasse, pour sûr. Docteur STORM. - Montparnasse ? Alors vous connaissez donc la gare ? L'ELECTRICIEN. - Une gare, mais pour quoi faire ? Docteur STORM. - Mais pour que s'arrêtent les trains. L'ELECTRICIEN. - Qu'il est drôle ! Des trains qui ne savent pas s'arrêter tout seul, et qui ont besoin d'une gare pour cela. Docteur STORM.(se levant) - Bon. Reprenons depuis le début. La réalité d'un fauteuil, avec quatre pieds posés sur terre, est-elle absurde ? Les quatre répondent en choeur : - Un rêve ! Docteur STORM. - Et une ampoule ? Les quatre en choeur : - Un rêve ! Docteur STORM. - Une radio, alors ? Les quatre en choeur : - Un rêve ! Docteur STORM. - Donc, un téléphone. Les quatre en choeur : - Un rêve ! Docteur STORM. - S'il vous plaît. Je n'ai pas besoin d'un coryphée pour me répondre. L'ELECTRICIEN. - Le coryphée, en revanche, fait bien partie de l'époque. Docteur STORM. - Faudrait-il en déduire qu'aucun des objets que j'ai nommés auparavant , ne peuvent exister ici-bas ? L'ELECTRICIEN. - Evidemment. Puisque je ne l'ai encore jamais décidé. SYLVIE. - Et d'ailleurs, à quoi donc tout ce bazar pourrait servir ? Docteur STORM. - Mais alors, peut-être que j'arrive à deviner l'avenir. BERNADETTE. - Oh oh... il n'est pas très sage de devancer la décision des dieux. Il faut que le choix soit démocratique. Madame LOMBARD. - Je vote contre. Peut-on seulement préférer ces matériaux à la présence divine ? BERNADETTE. - Moi-même qui ne suis qu'au rang des mortels, j'avoue Hypnos, que le monde dont tu rêves, n'a franchement rien de bien attirant. Docteur STORM. - Dans ce monde que j'imaginais, les dieux et les mortels étaient égaux. Or, précisément, Ariane étant un modèle significatif du monde des Mortels, je me sentais bien peu heureux d'appartenir à un semblable royaume, et pour fuir tant d'imperfection, je rêvais de devenir dieu parmi les dieux. L'ELECTRICIEN. - Voilà bien de sa part, un peu de lucidité. BERNADETTE. - Un peu de lucidité ? Je crois plutôt le mal incurable sur certains points. L'ELECTRICIEN. - Et bien, je songe dès lors qu'il n'y aurait finalement meilleur remède pour nous comme pour Hypnos, qu'un riche festin arrosé de bon vin. Quelques lièvres et chevreuils ramenés de la chasse par Artémis et cuisinés avec talent par mon épouse, enfin de Dionysos, un vin de bon cru qui nous réchaufferait la panse à tous. Quand tant d'inquiétudes assaillent le malheureux Hypnos, mieux que de discourir à l'éternité, le festin est de bon aloi, et croyez-moi qu'un repas bien arrosé a tous les atouts pour faire venir avec l'appétit, la mémoire. SYLVIE (prenant son arc et ses flèches) . - Si j'ai bien compris, Artémis doit se mettre au travail. C'est bon. Je m'en vais courir le gibier qui ornera la table de notre souper. (En s'en allant). A plus tard mes amis. (Sylvie sort soit côté Cour, soit côté Jardin). Madame LOMBARD. - Dans ce cas, Héra s'en va également, pour faire chauffer ses fourneaux qu'ils soient prêts à accueillir les victuailles d'Artémis. A tout à l'heure. (Idem, pour la sortie avec Madame Lombard). BERNADETTE. - Et il me faut moi, aller retrouver Dionysos, qu'il nous mette en réserve le meilleur tonneau, qu'on ait du bon vin pour accompagner la cuisine d'Héra. A tout de suite. (Idem, pour la sortie avec Bernadette). Docteur STORM (qui est assis). - Grand Zeus. L'ELECTRICIEN. - Oui, Hypnos. Docteur STORM. - Je peux te demander une faveur ? L'ELECTRICIEN. - Vas-y Hypnos. Dis-moi quel est ton voeu. Docteur STORM. - Grand Zeus, tu pourrais me refaire l'orage ? L'ELECTRICIEN. - Hmm. L'orage c'est sérieux, c'est Zeus dans sa colère. Ce n'est pas un jeu. Docteur STORM. - Allez. Juste un petit orage pour Hypnos. L'ELECTRICIEN (partant à reculons vers le bouton à orages). - Bon, c'est bien parce que tu es malade que j'accepte. Mais laisse moi un peu de temps pour rassembler mes forces. Docteur STORM. - Oh merci, merci, grand Zeus. L'ELECTRICIEN (Il lève les bras). - Oh monde de folie ! Peuples aveugles ! Vous qui oubliez si vite les présents de vos dieux ! Entendez donc venir vers vous dans sa colère le Grand Zeus. (En baissant les bras, il appuie sur le bouton qui déclenche l'orage). Docteur STORM (ricanant sans s'interrompre). ...Hi Hi Hi. Que c'est drôle. Que c'est drôle. Le Grand Zeus en colère...Hi Hi Hi. Il ne sait que se mettre en colère. Hi Hi Hi. (L'orage s'arrête de gronder). Je ne sais pas pourquoi, mais les orages, moi, ça me fait rire. Oh s'il te plaît, Grand Zeus. Encore une fois. L'ELECTRICIEN. - Ah non, maintenant ça suffit ! Docteur STORM. - Juste une fois. Une toute dernière fois. Rien que pour Hypnos. L'ELECTRICIEN. - Alors, promets moi que c'est bien la dernière fois que tu me le demandes, et qu'il n'y en aura pas une de plus. Docteur STORM. - Promis. Promis. Pour la dernière fois. L'ELECTRICIEN. - Bon. Recommençons. (Il lève de nouveau les bras, et appuie sur le bouton encore une fois.). Quoi ! Etes-vous donc sourds et aveugles, mortels ignorants, pour ne pas voir dans l'éclair et le tonnerre la colère même de ce dieu que vous abandonnez. Ne soyez donc pas surpris que se répètent à nouveau le grondement puissant et la lumière vive ! Docteur STORM. - Hi Hi Hi Hi Hi Hi Hi (L'orage s'interrompt). Ça fait zéro seconde entre l'éclair et le tonnerre. Zéro seconde. L'ELECTRICIEN. - Ah, j'entends revenir quelqu'un. Scène 3 : Arrive Bernadette.BERNADETTE. - Voilà qui est fait pour la commande du vin. Dionysos mon époux nous a gardé pour le repas le meilleur des tonneaux. Arrive Madame Lombard, qui tient Monsieur Lombard par l'oreille. Monsieur LOMBARD. - Lâche-moi. Lâche-moi. BERNADETTE. - Tiens, voilà peut-être le chevreuil capturé par Artémis, et qu'Héra s'apprête à nous cuisiner. Je ne l'attendais pas de ce gabarit. L'ELECTRICIEN. - Hermès, mon fils. Quel a donc été ton dernier forfait ? Madame LOMBARD.(relâchant Monsieur Lombard) - Oui, ton fils. Et dire encore que c'est le mien. Figure-toi que je l'ai surpris dans la cuisine en train de nous piller tout le service à vaisselle. L'ELECTRICIEN. - Ah, le voyou ! Il a récidivé. Monsieur LOMBARD. - Mais Zeus mon père, ce n'était cette fois que de simples assiettes, et durant les repas je t'ai toujours vu préférer le contenu au contenant. Docteur STORM (seul). - Son fils ? Et donc aussi celui d'Héra ? Oh, ça alors, je jurerais avoir vu le fils comme l'époux de sa mère. Ah, c'est terrible ! Le mal est bien d'origine oedipienne. L'ELECTRICIEN. - Tu as de la chance que je me sois mis déjà deux fois en colère avant que tu arrives ! Parle donc de mon appétit, fils vaurien ! De briser ainsi l'honneur d'un père, tu serais capable de m'enlever la faim ! Madame LOMBARD. - Et moi donc alors ? Ne suis-je pas la moins gâtée de combiner les bêtises du fils à celles du père. L'ELECTRICIEN. - S'il te plaît, n'exagère rien, ma tendre épouse. Ce sont là de petites histoires fort banales qui appartiennent toujours au quotidien. Quel enfant n'a pas commis de bêtises dans sa jeunesse. Heureusement, l'affaire pour une fois ne sort pas de la famille. BERNADETTE. - A ce qu'on croit. Madame LOMBARD. - Et bien moi, je trouve le fils un peu grand pour les bêtises. Et pour un dieu du Tonnerre, le père à mon goût, pardonne un peu vite. Pour sûr, ils se ressemblent tant, que c'est comme si chacun se pardonnait à lui-même. Monsieur LOMBARD.(remarquant le Docteur Storm) - Vous devriez, plutôt que vous quereller pour moi, vous occuper d'Hypnos qui nous reste isolé. L'ELECTRICIEN. - Hélas, tu ignores la triste nouvelle. Hypnos nous est revenu bien malade du royaume d'Hadès. Monsieur LOMBARD. - Mais non, je n'ignore rien, et tu oublies toujours que les messages viennent de ton fils. L'ELECTRICIEN. - Ah oui. C'est vrai. Mais tes messages circulent si vite, que je ne sais plus d'où ils partent. Monsieur LOMBARD (va vers le Docteur Storm). - Alors tâchons d'enrichir le message de détails. Raconte-moi donc, Hypnos. Docteur STORM. - Du courrier, pour moi ? Monsieur LOMBARD. - Aucun message d'importance dans le dernier tri. Mais c'est à toi de me dire... Docteur STORM. - Le monde que je voyais, était assez étrange. On l'appelait " Monde moderne du vingtième siècle." Monsieur LOMBARD. - Fichtre. Quel nom compliqué pour un monde. Les dieux avaient-ils au moins la part belle ? Docteur STORM. - Ils n'étaient que des noms pour nommer des objets. Zeus remplacé par Jupiter, et toi Hermès, sous le nom romain de Mercure... Vous étiez avant tout des planètes du système solaire. L'ELECTRICIEN. - Comment ? Si peu pour le Grand Zeus ? Madame LOMBARD.- Et pour Héra ? Docteur STORM. - Je n'ai plus le souvenir d'avoir vu Héra en particulier dans mes rêves. Madame LOMBARD. - J'étais donc abandonnée. BERNADETTE. - Et d'Ariane, as-tu des souvenirs ? Docteur STORM. - Le physique avait été arrangé sous la forme d'un engin de prestige. Une fusée pour explorer l'espace. BERNADETTE. - Le physique arrangé, ose t-il me dire ! Monsieur LOMBARD. - Mais les lieux au moins n'étaient pas dévoyés. Qu'était donc devenu l'Olympe ? Docteur STORM. - L'Olympe était pour ainsi dire, un lieu choisi, où l'on ne pratiquait plus que des épreuves sportives baptisées alors " Jeux Olympiques. " L'ELECTRICIEN. - Voilà bien une folle idée que d'imaginer les dieux rivalisant dans des épreuves sportives. Monsieur LOMBARD. - Et l'Elysée ? Docteur STORM. - Ah ! L'Elysée. Pourrai-je vous raconter ? A vous ? Non, c'est bien trop embarrassant. Monsieur LOMBARD. - Il faut quand même parler. Docteur STORM. - Je n'en trouverai pas le courage. L'ELECTRICIEN. - Ne crains rien. Tant que nous savons qu'il s'agit d'un simple phantasme. Docteur STORM. - L'aveu m'est pénible, mais l'Elysée que j'entrevoyais ne brillait pas d'une même importance. Madame LOMBARD. - C'est à dire... Docteur STORM. - L'Elysée n'était plus ce lieu paisible et agréable qui accueillait le mortel après son trépas. A peine était-ce un temple, tout juste un palais, disons une résidence... dont l'exclusivité était réservée à ceux qui gouvernaient le pays. L'ELECTRICIEN. - Ah, il me fallait l'entendre, la cruelle vérité ! Hypnos rêvait une prise de pouvoir, et l'Elysée entre les mains de putschistes ! Mon dieu, quelle blessure ! Quel affront ! (Bernadette appuie sur le bouton orages). Ah mon dieu ! BERNADETTE. - N'est-il pas singulier d'entendre le Grand Zeus appeler "Mon dieu ?" L'ELECTRICIEN. - Hélas ! Faut-il croire encore aux hommes ? N'ont-ils pas d'une certaine façon inspiré Hypnos ? Le rêve est à mon goût trop sournois. On entend aboyer Cerbère. Docteur STORM. - Cette fois, est-ce le vrai chevreuil qui nous arrive pour la cuisson ? BERNADETTE. - Sans doute que non. Si Artémis est partie chasser, elle ne peut pas arriver par cette porte . Scène 4 : Entre Marius, portant sur une épaule l'Arc et le Carquois.BERNADETTE. - C'est l'Amour. Bonjour l'Amour. MARIUS. - Bonjour. Belle de nuit. Madame LOMBARD. - Bienvenue à toi, Eros. L'ELECTRICIEN. - Tu as le salut du Grand Zeus, dieu d'Amour. Figure-toi que pour la seconde fois, nous avons cru entendre arriver le chevreuil de notre souper. MARIUS. - Remplacez durant vos nuits les sauts de l'Amour par ceux du chevreuil, et vous y verrez clairement la différence. L'ELECTRICIEN. - Le bougre. Ne se moque t-il pas de mes amours, quand pour séduire Europe, j'ai été changé en un ridicule taureau ? Madame LOMBARD. - Je te prie Zeus mon époux, de ne pas commenter tes infidélités en public. L'ELECTRICIEN. - A quoi bon. Secret de polichinelle. Tout le monde est déjà au courant. Monsieur LOMBARD. - Ainsi donc vois-tu mes parents, dieu Amour, toujours à parler de ce qu'il faut taire. Tu as le bonjour du dieu Messager, et j'espère que tu ne gardes aucune rancune pour les quelques flèches que je t'avais dérobées. MARIUS. - L'histoire date, et j'ai appris entre temps à me méfier de tes dangereux commerces. (S'approchant du Docteur Storm). Bonjour à tous, et à toi aussi, Hypnos. Docteur STORM. - Marius! Je veux dire qu'il me semble bien déjà t'avoir vu. Eh quoi ! Ce serait donc le dieu Amour en face de moi ! L'Amour même! Le dieu même ! MARIUS. - Quelle fantaisie dans le raisonnement. Qui donc n'a jamais vu l'Amour ? L'ELECTRICIEN. - Hypnos est atteint d'un trouble dont je préfère taire la nature. MARIUS. - Et bien, qu'il aille dormir. Il n'est pas Hypnos pour rien. Quant à moi, j'aimerai aussi pouvoir me reposer (Il trouve un endroit pour poser son arc et son carquois). Pfff... que le travail a été dur ces derniers temps... BERNADETTE. - A ne rien faire d'autre de la journée que l'Amour, je ne vois pas trop comment le Petit Dieu réussit si bien à s'épuiser au labeur. MARIUS. - Eh là ! (Il se penche vers Bernadette avec un air charmeur) Tu plaisantes et prends en dérision mon métier ? Es-tu donc sûre de cela ? (Redevenant sérieux). C'est que justement, je viens de me sortir d'une difficile affaire et je tenais à vous la raconter, mais depuis que je suis arrivé, mes propos semblent intéresser personne. Monsieur LOMBARD. - Que nous dis-tu ? Nous acceptons de t'écouter. BERNADETTE. - Vas-y. Raconte. Ne te fais pas prier. MARIUS. - Fort bien. Voilà donc mon récit. Je voulais d'une flèche, ôter une Muse à la tyrannie de son père qui refusait de voir sa fille un jour se marier. Il me fallait de la précaution au moment où j'avais à viser le coeur de la belle, car son père, devant elle, se trouvait tout autant dans le champ de mire. Madame LOMBARD. - Est-ce là donc la fin de ton récit ? MARIUS. - Tais-toi donc, épouse jalouse. Donc j'en étais à ce genre d'exercice... lorsque tout à coup j'entends le ciel gronder et les éclairs jaillir, et un même qui vient de près me chauffer les fesses. Bien-sûr, je suis troublé, et dans la surprise, je fais partir la flèche maladroitement. Celle-ci perce le coeur du Père, au lieu de toucher la Muse. Et voilà l'homme désormais amoureux de celui qui devait être son gendre. Madame LOMBARD. - Où donc est le drame ? Le père, devenu homo, n'en est pas plus malheureux, et la jeune fille s'en voit libérée de son autoritarisme. MARIUS. - Soit. Mais il y a que je n'aime guère la surprise d'un orage, au moment où ma tâche est délicate et me demande de ne pas trembler. L'ELECTRICIEN. - Il est vrai qu'à ce jour j'ai un peu trop abusé de ma science. Mais ma démonstration était indispensable... car plus grave encore est ce qui est arrivé à Hypnos. C'est comme s'il avait une difficulté terrible à nous croire... MARIUS. - A nous croire ? Quelle regrettable malheur pour notre Hypnos, mais cette autre affaire, donc, ne me concerne pas, puisqu'il est nécessaire de croire en l'Amour. Monsieur LOMBARD. - Pourtant, il ne sait avoir que du mépris. MARIUS. - C'est pourquoi je ne suis pas concerné, puisqu'on ne peut faire de l'Amour que le plus bel éloge. Docteur STORM. - Et pourtant, combien de rêves où l'Amour n'avait pas belle réputation. MARIUS. - Je ne me souviens pas avoir fait de semblables rêves. L'ELECTRICIEN. - Mais non, Petit Dieu. Hypnos parle de ses propres rêves. MARIUS. - Alors, parlez donc de cauchemars, et non pas de rêves, si l'Amour y était absent. Docteur STORM. - Oh non, l'Amour y était, malgré tout, mais tel un passe-temps futile qui rendait souvent les gens oisifs et stupides. MARIUS. - A ce point ? Les personnages de ton rêve ne savaient-ils donc pas aimer ? Docteur STORM. - Ils s'aimaient d'abord, pour se haïr ensuite. MARIUS. - Toutefois, il devait bien y avoir de temps en temps quelques mariages. Docteur STORM. - Le mariage n'était que deux signatures rapprochées sur un papier. D'ailleurs, préférait-on souvent le libertinage. Les infidélités étaient courantes et l'on divorçait dans l'indifférence. MARIUS. - Est-ce à dire que les mortels, à la liberté d'aimer, en préféraient d'autres ? Docteur STORM. - Ils trouvaient refuge dans la consommation de gadgets divers, pour des plaisirs éphémères... et sans grandeur. Et l'amour y était à l'occasion critiqué. MARIUS. - Impossible que de telles circonstances se produisent en réalité. Il est folie de croire que les humains au naturel d'aimer, en viennent à ne pas aimer l'Amour. Et... quels genres de critiques entendait-on dans tes rêves ? Docteur STORM. - Et bien, par exemple, disait-on (Il imite) : " Croire à l'Amour! Pfff! Une sottise qui mène nulle part. " MARIUS. - Ah oui ! Et quoi d'autre encore ? Docteur STORM. - Et encore, il se disait : " Mieux vaut avoir les pieds sur terre que d'espérer en de l'Amour. " MARIUS. - Est-ce là tout ? Docteur STORM. - Il s'ajoutait multiples railleries, et encore quelques descriptions révélatrices : l'Amour est plein de vices et jamais bien beau. MARIUS. - Eh là ? Ne trouves-tu donc pas l'Amour beau ? Docteur STORM. - S'il est question de regarder le visage... MARIUS - Je ne vais quand même pas te montrer le reste. Docteur STORM. - Bah... Madame LOMBARD. - Il faudrait savoir si le reste est de taille. BERNADETTE. - Hypnos a besoin de détails. MARIUS. - Et bien dans le reste, comme dans l'apparent, rien n'est outre-mesure. Docteur STORM (riant). - Hi Hi Hi. MARIUS (au Docteur Storm). - N'aurais-tu, en plus, quelques penchants... Docteur STORM. - Ah non. La pédérastie, c'est pas pour moi. J'aime trop la reproduction. BERNADETTE. - On est chez les Grecs. Docteur STORM. - Justement. Je ne me sens pas un profil grec. BERNADETTE. - Le profil ne montre pas tout du visage. MARIUS. - Et voilà comment du reste, on revient au visage de l'Amour. Docteur STORM. - Alors, laisse-moi donc voir de plus près ce visage si peu ordinaire. (Il le regarde de près). Voyons comment les traits nous renseignent sur ce qu'il y a de divin dans l'Amour. MARIUS. - Les qualités de l'Amour, tu les verras encore dans ma démonstration. (Il prend son arc et une flèche). Docteur STORM. - Ah oui en effet... je vois de l'habileté, du tact, du doigté... c'est un franc-tireur. MARIUS. - Alors, permets à mon geste d'accompagner ta parole. Que quelqu'un me passe mon bandeau . Madame LOMBARD(arrive vers Marius avec un bandeau noir). - Voilà, pour te rendre aveugle... Et nous montrer de quoi tu es capable. Ne bouge plus la tête. Madame Lombard noue le bandeau derrière la tête de Marius. MARIUS. - Vas-y. Tu peux serrer. Je ne crains pas de ne plus me servir de mes yeux. As-tu fini le noeud ? Madame LOMBARD. - Là. Tu peux y aller. Mais d'abord. (Elle lui montre trois doigts). Dis-moi combien j'ai de doigts. MARIUS. - Douze ! Docteur STORM. - Douze ! Pour les doigts ? Madame LOMBARD. - Mais non, Hypnos. Eros a dit le triple. Maintenant il voit en trois dimensions. (Elle fait le signe zéro). Et maintenant ? BERNADETTE (la poussant). - Mais laisse le donc plutôt à son travail. Il ne peut pas se concentrer à la fois sur les chiffres et sur la cible. Madame LOMBARD. - Et bien. En voilà de l'audace. MARIUS. - Ariane a raison. Je dois me concentrer. Docteur STORM. - J'ignorais que l'Amour puissasse se concentrer. MARIUS. - L'Amour susse mieux encore se concentrer, si vous n'étiez sans arrêt à jacasser. (Marius se déplace, cogne quelques éléments). Ouh la la... J'ai la tête qui tourne. Aïe ! Quelque chose m'a heurté. Ouh la la. Quel vertige ! (Il se tourne vers le public en le menaçant de son arc...) Il me faut un peu de temps pour m'habituer au noir. L'ELECTRICIEN. - Et là ! Catastrophe ! Où veut-il donc viser ? Madame LOMBARD (réorientant Marius). - Attends donc, dieu Amour. Il ne faudrait pas que tu perdes le Nord. Docteur STORM. - Quand on dit que l'Amour est aveugle. L'ELECTRICIEN (qui se trouve à son tour dans la direction où Marius vise). - J'ai curieusement l'impression d'être à une mauvaise place. MARIUS. - Pour sûr. C'est bien à vous de faire un détour. Ma flèche, elle, fera son chemin tout droit. Monsieur LOMBARD. - La prudence s'impose. BERNADETTE. - Ne dit-on pas parfois que l'Amour est dangereux ? Bernadette, Madame Lombard, Monsieur Lombard, l'électricien et le Docteur Storm reculent tous dans un coin de la scène. Ils s'alignent et se tiennent la main. Seul le Docteur Storm tourne le dos à la cible supposée. Marius décoche la flèche. MARIUS. - Voilà le travail. La flèche a réussi à percer au hasard un pan du décor. Tous se regroupent vers Marius, et retiennent le Docteur Storm afin qu'il évite de se retourner et ne puisse voir où la flèche est arrivée. Madame LOMBARD (dénouant le bandeau). - Attends donc mon aide mon héros d'Eros. Docteur STORM (regarde l'arc). - Ça c'est vrai qu'il y avait une flèche à cet arc et que désormais elle n'y est plus. MARIUS (empêche le docteur de se retourner). - Eh oui ! La flèche s'est envolée selon sa destinée... pour éveiller l'amour en un coeur... provoquer un nouveau coup de foudre... Pendant ce temps, on aperçoit Sylvie qui entre en scène, un pot de peinture à la main. Là où la flèche est plantée, elle peint une cible tout autour, en veillant bien entendu à ce que la pointe de la flèche marque le centre de la cible. Son travail achevé, Sylvie disparaît aussi discrètement qu'elle est apparue. Monsieur LOMBARD (à son tour, il empêche le docteur de se retourner). - Si nous parlons de coup de foudre en ce qui concerne l'Amour, c'est bien que foudre et amour ont des lois communes. Docteur STORM. - Si vous le dites. MARIUS. - Je suis là pour confirmer qu'il existe dans l'Amour quelques phénomènes électriques. L'ELECTRICIEN. - Et dans l'orage, on est ébloui comme dans l'Amour. MARIUS. - Mais j'admire le talent de notre Grand Zeus, qui parvient à viser par des zigzags. Docteur STORM. - On reconnaît c'est vrai, un certain talent d'artiste. L'ELECTRICIEN. - Oh oh... Vous me flattez pour bien peu. MARIUS. - Mais la colère y trouve toute son expression. L'ELECTRICIEN. - Expression sans grande envergure... comparée à celle de la gracieuse flèche, qui portée par le vent, s'en va frapper la cible en plein coeur... Monsieur LOMBARD. - La flèche frappe sa cible, comme la foudre. L'ELECTRICIEN. - Mais, en ce qui concerne la flèche, comment ne pas apprécier la justesse de la visée ? L'ELECTRICIEN. - C'est qu'on ne se lasse jamais d'admirer le vrai chef d'oeuvre. Docteur STORM. - A ce que je comprends, il est question d'une cible visible à l'oeil nu ? MARIUS. - Quelques apparences de l'Amour, seulement. Docteur STORM. - Mais j'aurai aimé aussi juger le tableau. A quoi il sert de regarder partir les flèches, si on ne peut voir comment elles arrivent ? Monsieur LOMBARD. - Rien n'est plus facile. Il suffit, simplement, de te retourner. Docteur STORM (se retournant). - J'ignorais que je tournais le dos à une cible. Eros l'a touchée en plein coeur ! Les yeux bandés ! Quel miracle ! Je n'arrive pas y croire ! Attendez. Laissez-moi vérifier le bandeau (Il prend le bandeau et le pose sur les yeux). Le noir complet. Il n'a pas pu tricher. MARIUS. - Il s'étonne de la magie de l'Amour. C'est un enfant. Docteur STORM. - Et comment je m'étonne ! Un tel exploit ! Digne des Jeux Olympiques ! Et même les Jeux Olympiques... (Il s'interrompt). Mais je n'ai pas regardé la flèche. La flèche, n'est-elle pas truquée ?... (Il va vers la cible pour mieux observer la flèche). MARIUS. - Si tu as des doutes, tu peux toujours enlever la flèche pour mieux la vérifier. Docteur STORM. - L'acte n'est-il pas sacrilège ? MARIUS. - Bah... Si c'est à titre exceptionnel, je te l'autorise. Docteur STORM. - Oh non. Je n'ose pas. L'ELECTRICIEN. - Prends-la donc puisque tu en as envie. Le Docteur Storm ôte la flèche, et s'appuie contre le mur afin d'élever de ses deux mains l'outil sacré, comme s'il s'agissait d'une offrande aux Dieux. La signification religieuse disparaît lorsqu'on comprend qu'il veut seulement approcher l'objet de la lumière pour mieux l'observer. Docteur STORM. - Voyons mieux à la lumière. Serait-elle aimantée par hasard ? Ou téléguidée ? Non ! Impossible ! Absurde ! Une flèche ordinaire ! Mais en vérité pas si ordinaire que ça ! (Docteur Storm quitte sa place et tourne le dos au public, qui remarque sur ses vêtements le dessin de la cible dû à la peinture fraîche). Une flèche d'Amour ! Oh, que c'est merveilleux ! Quel sensationnel ! (Il va vers Marius. Les personnages s'aperçoivent à tour de rôle de la présence involontaire de la marque traîtresse dans le dos du docteur. Derrière lui ils s'échangent quelques signes discrets en se retenant de s'esclaffer). Et dire qu'en face de moi, j'ai le dieu Amour ! L'Amour en chair et en os. Oh ! Mon Amour ! Permets-moi de t'embrasser. (Il embrasse Marius). Et moi qui t'avais pris pour un vulgaire et insignifiant homme d'affaires. Toi, le vrai Eros. Cupidon ! MARIUS. - Est-ce là peut-être la mémoire qui te revient ? Docteur STORM. - Oui. La mémoire me revient ! Tous les souvenirs me reviennent... Tout s'éclaire subitement. Je redeviens un dieu lucide ! Ah... l'Amour. L'Amour. Madame LOMBARD. - A tous les coups, tu commences déjà à guérir. Docteur STORM. - Guérir ! Mais pourquoi donc guérir ! Je suis guéri ! Exclamations collectives : Ah / Magnifique / L'heureuse nouvelle / Il est guéri. Docteur STORM (change d'attitude). - Enfin toutefois, quand je dis guéri... En vérité, je ne suis pas tout à fait guéri. (Il part s'asseoir dans un coin, et pleure la tête dans ses bras). Hélas non ! Je ne suis pas encore guéri... Pas encore ! (Pleurs). BERNADETTE. - Ah, il rechute. Monsieur LOMBARD. - Il a voulu guérir trop vite. L'ELECTRICIEN. - Patience, mon ami. Le chemin de la guérison est toujours un long chemin. Madame LOMBARD (qui cherche à le consoler). - Allons, allons mon ami... Que s'est-il passé de si grave ? Docteur STORM. - C'est horrible. Madame LOMBARD. - Mais quoi donc ? Raconte-nous. Docteur STORM (continuant de pleurer). - Je ne sais plus qui sont mon papa et ma maman. Tous ensemble (s'exclament) : - Ohhh... Monsieur LOMBARD. - Un drame, pour si peu... Docteur STORM. - Comment donc ? Pour si peu... Est-ce si peu d'être orphelin ? L'ELECTRICIEN. - Et bien, c'est que les causes de l'ignorance ne viennent pas nécessairement des troubles de la mémoire. Nous-mêmes, à ce sujet, avons des doutes. Docteur STORM. - Vraiment ? Vous voulez dire que vous ne savez pas quelle est ma vraie mère ? Tous marquent d'une moue, ou par des gestes défaitistes, leur ignorance. Monsieur LOMBARD. - Il faut dire que nous ne nous sommes jamais efforcés de savoir. Docteur STORM. - Oui, mais alors. Si vous ne savez pas qui est ma mère, au moins connaissez-vous mon père ? De nouveau, les personnages marquent leur ignorance. L'ELECTRICIEN. - Peut-être bien qu'il s'agit d'Héraclès, ou sinon d'Iphiclès, son frère jumeau. Docteur STORM. - Allons bon. Du père également, il y a des doutes. MARIUS. - L'Amour est lui-même enfant adultérin, et s'est déjà interrogé maintes fois sur ses origines. Et néanmoins, n'est-il pas l'Amour ? Docteur STORM. - C'est ça. Cupidon a une telle réputation d'aller se réfugier à la moindre occasion dans les jupes de Vénus, sa mère... Je trouve pourtant, à le voir, que le dieu a dépassé tous les âges de l'enfance depuis déjà fort longtemps. (Il s'éloigne de nouveau en pleurant). Bouhhh... Je veux connaître ma maman . Ma vraie maman. L'ELECTRICIEN. - Pleure pas. Tu la r'verras ta mère. On entend les aboiements de Cerbère. Monsieur LOMBARD. - D'ailleurs, la voilà peut-être qui arrive, ta mère. L'ELECTRICIEN. - A moins que ce soit mon chevreuil BERNADETTE. - Mais, c'est une obsession ! L'ELECTRICIEN. - Quoi donc ? Sa mère ? BERNADETTE. - Non. Ton chevreuil. On t'a d'ailleurs dit que les chevreuils ne rentraient jamais par cette porte là... De nouveau, on entend les aboiements de Cerbère. L'ELECTRICIEN. - Allons bon. Notre visiteur n'ose venir de lui-même. Monsieur LOMBARD. - C'est à Hermès d'aller le chercher. Monsieur Lombard sort. Docteur STORM. - Si seulement, ça pouvait être elle. L'ELECTRICIEN. - Ça doit être la bonne porte... Scène 4 : - Monsieur Lombard revient, suivi d'une femme, 50 ans environ. Elle est PREPOSEE aux PTT . Dans sa main, elle tient un bloc et de quoi noter.Monsieur LOMBARD. - Madame qui vient nous voir ne s'est pas donnée le temps de se présenter. LA PREPOSEE. - C'est que je m'attendais à être chez un médecin. BERNADETTE. - Bon alors, repassez la prochaine fois. L'ELECTRICIEN - C'est, vous comprenez, que nous attendons notre chevreuil. LA PREPOSEE (en aparté). - Un chevreuil ? (A eux) Je ne suis donc pas dans un cabinet médical ? Docteur STORM. - Mais si, bien-sûr. Vous êtes dans l'antre du grand Hypnos. LA PREPOSEE. - Je suis préposée aux PTT, et si je viens, c'est parce qu'il y a eu des réclamations en ce qui concerne le téléphone. On n'arrive plus à vous joindre. Docteur STORM. - Et voilà. Ça recommence. Ce mal maudit qui me reprend... LA PREPOSEE. - Qu'avez-vous, monsieur ? Un malaise ? L'ELECTRICIEN. - Depuis quelque temps, il est malade, et n'allez surtout pas le harceler... LA PREPOSEE. - Le harceler ? Moi ? Bon... Docteur STORM. - Mais non, ce sont toujours ces mêmes mots de folie qui me frappent aux oreilles. Une fois encore, j'ai cru entendre Le téléphone. LA PREPOSEE (maternelle). - Oh... désolée, mon cher monsieur... Je ne pensais m'adresser à quelqu'un de si... souffrant. Docteur STORM. - Maman ! LA PREPOSEE. - Son cas est grave. (Au docteur) Mais non, il n'y a pas maman au téléphone. Le téléphone est cassé. BERNADETTE. - Tu vois Hypnos, puisqu'elle te le dit. Monsieur LOMBARD. - Perséphone ! C'est Perséphone, le vrai mot ! Voilà l'origine de la confusion. L'ELECTRICIEN. - Ah... Perséphone, qui est pourtant notre grande déesse des Enfers. BERNADETTE. - Eh bien que maintenant, Perséphone retourne retrouver ses Enfers. LA PREPOSEE (vexée). - Oh ! C'est donc à moi que vous parlez ainsi ? Alors que je... Docteur STORM. - Oui, vous n'avez pas honte. Parler ainsi à ma mère ! LA PREPOSEE. - Monsieur. Je vous en prie. N'en ajoutez pas. BERNADETTE. - En effet. De telles confidences doivent restées privées. LA PREPOSEE (au Docteur Storm). - Je ne crois pas que monsieur ait le souvenir de m'avoir rencontré un jour... Docteur STORM. - Hélas oui. Là est le drame. Je ne me souviens plus de toi, maman. LA PREPOSEE. - Soyons sérieux. Je ne viens pas parler aux malades, mais au docteur. BERNADETTE. - Le docteur, justement ! Pas possible ! Il est malade ! LA PREPOSEE. - Bon alors, dites-moi s'il vous plaît, à qui je dois m'adresser. BERNADETTE. - A moi. LA PREPOSEE. - A vous ? Ah... Et vous êtes ? BERNADETTE. - Ariane. LA PREPOSEE. - Ariane comment ? BERNADETTE. - Ariane. LA PREPOSEE. - Ariane Ariane ? BERNADETTE. - Voilà. Ariane Ariane. LA PREPOSEE. - Donc, comme je vous le disais. (Bernadette s'éloigne). Eh ! Où allez-vous ? BERNADETTE. - Je vous écoute toujours. LA PREPOSEE. - Alors, je vous disais que de nombreuses personnes ont essayé de vous joindre, mais sans y parvenir... Monsieur LOMBARD. - D'un monde à l'autre, la communication n'est jamais bien évidente. LA PREPOSEE. - Oui, mais il y en a quand même qui appelaient de très prés. Alors, déjà, je dois vérifier que vous avez le bon numéro. (Elle regarde sur son bloc). Est-ce qu'ici, il s'agit bien du... Bernadette a appuyé sur le bouton orage... La préposée continue de parler... mais on la voit articuler sans réussir à entendre le moindre de ses mots. L'orage s'interrompt en même temps qu'elle achève son monologue. BERNADETTE. - C'est le numéro exact ! LA PREPOSEE. - Vous n'avez pas besoin que je répète ? BERNADETTE. - Non non, c'est inutile. LA PREPOSEE. - Bien. Alors, est-ce qu'il s'agit d'une panne ? D'un problème de branchement de fil ? Docteur STORM. - C'est toujours l'orage qui décide de tout. BERNADETTE. - Vous n'avez qu'à dire à ces gens, qu'Ariane n'a pas toujours le temps de les tenir au bout du fil. LA PREPOSEE. - Ah ! C'est donc vous qui avez décidé... Fallait le dire tout de suite. Entre Sylvie. Elle tient à la main une flèche au bout de laquelle pend un morceau de steak. SYLVIE. - Voilà voilà... L'ELECTRICIEN. - Est-ce là donc tout ce qu'il y a de l'animal ? SYLVIE. - Mais non, voyons. Juste un échantillon. Pour vous montrer la fraîcheur de la viande. LA PREPOSEE. - Ça alors ! Vous avez vraiment de drôles de moeurs. SYLVIE (s'avance vers la préposée, toujours en tenant la flèche, et lui place le morceau de viande sur la figure / Agressive). - Qu'est-ce qu'elle fait là, celle là ! LA PREPOSEE. - Ah, tout de même ! Il y a des limites ! BERNADETTE. - Oui. Des limites. Bien dit. Perséphone ne devrait jamais dépasser l'entrée gardée par Cerbère. Elle n'est pas déesse des Enfers pour des prunes. SYLVIE. - Retourne donc à ton royaume des Ombres... Perséphone. LA PREPOSEE (part en colère). - En effet ! Pour être accueillie de cette façon. Je préfère m'en aller tout de suite. Quel toupet de s'adresser ainsi à une personne du service public. Inutile de m'accompagner. Je trouverai bien le chemin. La préposée a disparu. Docteur STORM.- Elle a en effet tout le caractère d'une déesse des Enfers, cette Perséphone. Si c'est elle ma mère... Le destin ne m'a pas follement gâté. L'ELECTRICIEN. - Bon. Eh bien, voilà en tout cas l'affaire arrangée. Monsieur LOMBARD. - Hypnos a retrouvé sa mère, et Perséphone désormais aux Enfers, nous fiche la paix. Docteur STORM. - Il est vrai que maintenant je me sens bien mieux. L'ELECTRICIEN. - Voilà qui fait plaisir à entendre. Et je suis sûr qu'avec notre délicieux souper, notre Hypnos sera promptement rétabli. Pour de bon cette fois. Madame LOMBARD. - Je cuisinerai avec plaisir et en y employant tout mon savoir faire. Monsieur LOMBARD. - Maman est si bonne cuisinière... SYLVIE. - Et la viande est bien fraîche... et fort tendre. Docteur STORM. - Oui. Mais toutefois. BERNADETTE. - Quoi ? L'ELECTRICIEN. - Autre chose, encore ? Docteur STORM. - Oui. Même si dorénavant je vois avec plus de clarté, il me manque encore une certitude. L'ELECTRICIEN. - Tu veux des preuves sans arrêt, à l'infini. Tu ne cesses jamais de douter. Docteur STORM. - Mais cette certitude que je vous réclame est la dernière, je vous assure... Monsieur LOMBARD. - La dernière, donc, tu nous dis. Docteur STORM. - Oui. La dernière. Mais pour cela, je dois d'abord m'entretenir avec Eros-Cupidon. MARIUS. - Qu'attends-tu donc encore du dieu Amour, grand assoiffé... Docteur STORM (rejoignant Marius). - Et bien voilà... Ayant remarqué combien étaient grandes les différences entre dieux et mortels, j'ai pensé qu'il serait à priori impossible qu'un dieu comme moi (il se désigne), épouse une mortelle comme elle (Il désigne Bernadette). La disgrâce saute aux yeux du regard divin. Au premier coup d'oeil, Hypnos remarque les imperfections, et nombreuses sont les disproportions qui donnent bien peu d'avantage au portrait. BERNADETTE. - Il a changé, et pourtant, il continue encore de m'agacer. Monsieur LOMBARD. - J'imagine, Hypnos, que certaines de tes pensées font parasites et troublent ton jugement. Madame LOMBARD. - Hypnos n'a pas tort. On remarque une différence entre Ariane et le divin Eros. MARIUS. - Mais toutes les différences, aux yeux de l'Amour, peuvent être aimées... Docteur STORM. - Parfait ! C'est exactement la réponse que j'attendais de l'Amour ! Mais dis-moi encore, Hypnos, pourrait-il lui-même devenir amoureux d'Ariane si l'Amour le décidait ? MARIUS. - Bien-sûr. Encore que la rencontre entre un dieu et une mortelle pose toujours problème. Docteur STORM. - Alors, tentons l'expérience... MARIUS. - A quoi bon l'expérience ? Docteur STORM. - A quoi bon l'expérience ? Mais c'est cette expérience là qui manque à mes certitudes. Hypnos amoureux de celle qu'il songeait ne jamais aimer, verra alors comment il est le jouet de ses contradictions, et ainsi, devant l'Amour, il devra abdiquer pour de bon... MARIUS. - L'Amour est un sujet sérieux, et se juge selon les destinées... On ne choisit pas d'assembler des coeurs par simple amusement. L'ELECTRICIEN. - Il veut jouer avec l'Amour, pareillement qu'il veut jouer avec mes orages. Docteur STORM. - Mais enfin. L'idée n'est-elle pas bonne ? MARIUS (sur le ton de la confidence). - Mauvais plan... Docteur STORM. - Et pourquoi donc ? MARIUS - Sans intérêt. Docteur STORM. - Je ne crois pas. MARIUS. - Tes déductions sont trop hâtives. Prends donc un peu de temps pour étudier la situation. Il existe des solutions meilleures. Docteur STORM. - Oui, mais comprend donc, dieu Amour. Tant qu'Hypnos ne verra pas se réaliser cette magie, il demeurera toujours hanté par des doutes, des soupçons... Des questions le tourmenteront sans cesse, le priveront de tout repos. Le dieu Amour est-il vraiment le dieu Amour ? Et de ce fait Hypnos est-il vraiment Hypnos ?... Son esprit construira alors de tordus scénarios, et imaginant le pire il vous accablera de rôles qui vous accusent. En revanche, si l'Amour cède sur ma proposition, voilà au moins qui donnerait de solides appuis à mes certitudes. Alors, jamais plus vous ne verrez Hypnos tel un soupçonneux. MARIUS. - L'Amour sait aussi avoir des idées, et pour remplacer ta proposition, il a trouvé une autre solution et s'étonnerait fort peu qu'Hypnos la juge en tout point meilleure. Docteur STORM. - J'ai du mal à te croire, mais vas-y, parle toujours. MARIUS. - La solution, ce serait l'inverse. Docteur STORM. - L'inverse ? MARIUS. - Oui, l'inverse. Puisque c'est la Beauté qui est ton handicap, décidons alors d'une métamorphose d'Ariane, afin qu'elle soit faite belle à tes yeux. Docteur STORM. - Oh, ça alors ! Pour sûr que l'idée est meilleure ! Une métamorphose de la laideur en Beauté me paraît une magie si extraordinaire... si impossible... que je n'osais même pas avouer un tel voeu... Vous m'assurez que le phénomène est réalisable ? L'ELECTRICIEN. - Vénus a déjà bien écouté Pygmalion en donnant la vie à Galatée, alors qu'elle n'était que statue. Docteur STORM. - Qu'importe si la statue est déjà vivante. Je me contenterai du spectacle que l'on me propose ici. Comment cela va donc se passer ? MARIUS. - Vénus détient les secrets de son art. Docteur STORM. - Il n'y a donc rien à faire ? MARIUS. - Il suffit de compter à rebours à partir de 10, et sitôt nous aurons prononcé le chiffre situé sous le 1, sitôt Vénus exaucera le voeu. BERNADETTE. - Oh non, par pitié... n'usez pas pour moi d'une telle science ! L'ELECTRICIEN. - Et pourquoi donc, Ariane, puisque l'offre est tout à ton avantage. BERNADETTE. - A quoi bon que je change... En gagnant la Beauté, je perdrai l'Amour. MARIUS. - Alors, donc, tu ne perds rien au change. BERNADETTE. - On me haïra, c'est certain. Trouvez d'autres volontaires. Moi, je ne veux pas. L'ELECTRICIEN. - Voilà bien un caprice pour peu de chose... Faire la tête pour un spectacle, où tu occupes le premier rôle. BERNADETTE. - J'applaudis le spectacle, mais je refuse la représentation... L'ELECTRICIEN. - Alors, c'est ne rien applaudir, et Vénus sera fâchée que tu veuilles ignorer sa science. BERNADETTE. - Là n'est pas la question. Est-il franchement nécessaire de compter ? MARIUS. - C'est si peu demandé. BERNADETTE. - Oui, mais après. Je deviendrai une autre. Telle expérience va me réduire au néant, et il me faudra porter le deuil de ma propre mort. Monsieur LOMBARD. - Allons... Vénus ne t'infligera pas, ni l'Amour... On te l'assure. BERNADETTE. - Je vous crois sincères, et cependant... SYLVIE. - Il ne te reste plus qu'à accepter. BERNADETTE. - Vraiment ? Je n'ai pas le choix. MARIUS. - Tes arguments sont trop légers pour qu'ils nous suffisent. D'ailleurs, j'entends déjà Vénus, ma mère, venir vers nous. Allons... C'est le moment de nous préparer. BERNADETTE. - Aïaïaïe ! Je préfère me sauver. (Elle part se cacher derrière un pilier). MARIUS. - Trop tard. De toute façon. Madame LOMBARD. - Même en te cachant, tu ne peux plus rien contre ton sort. Monsieur LOMBARD. - Commençons donc à compter. Tous ensemble (sauf Bernadette) : Dix ! neuf ! huit ! sept ! six ! cinq ! quatre ! trois ! deux ! un !... Zéro ! A zéro, les lumières éclairent le public et les acteurs s'alignent. BERNADETTE (derrière le pilier). - On m'attend donc encore ? MARIUS. - Bien-sûr, le rêve est terminé. Tu dois venir saluer. BERNADETTE (derrière le pilier). - Je suis donc devenue vraiment quelqu'un d'autre ? Docteur STORM. - C'est certain. Puisque tu as fini de jouer. BERNADETTE (derrière le pilier). - Mais en ayant fini de jouer, suis-je toujours indispensable ? L'ELECTRICIEN. - Bien-sûr, et c'est pour cela que nous t'attendons. BERNADETTE (derrière le pilier). - Dans ce cas, j'arrive. Arrive Bernadette, entièrement changée en une ravissante actrice de théâtre. Elle s'aligne avec les autres pour saluer. Celui qui joue Monsieur Lombard / Hermès, présente tour à tour les acteurs. FIN.
***** |